mardi 10 juin 2008

Froid dans le dos.

Le Goût sucré des pommes sauvages, recueil de nouvelles de Wallace Stegner que je suis en train de lire, éveille en moi de nombreux souvenirs plus ou moins lointains. Ainsi, la deuxième de ces nouvelles, Jeune Fille en sa tour, où un homme revient dans la maison de son amie de jeunesse et trouve cette bâtisse occupée par un salon funéraire, m'a rappelé le passage d'Amédé un soir à Lyon il y a au moins une vingtaine d'années.

Il m'avait téléphoné, faisant route vers l'ouest de la France, Rennes ou Nantes, je ne me souviens pas, pour me demander s'il pouvait faire halte pour la nuit chez moi, le voyage d'une seule traite lui semblant trop fatigant. Jusque-là, rien que de très banal.

Ce qui l'est moins, c'est le métier qu'exerçait alors Amédé. Après avoir été hôtelier, primeur, fleuriste, pizzaiolo, entre autres, il gagnait sa vie comme employé des pompes funèbres. Le déplacement à Rennes n'était pas un voyage d'agrément mais le rapatriement d'un corps par fourgon réfrigéré dans sa région d'inhumation .

Comme convenu, Amédé arriva en fin d'après-midi, nous prîmes l'apéritif (pastis bien sûr) et mangeâmes de bon appétit. Je finis cependant par comprendre que le fourgon qu'il avait garé sur le parking en bas de chez moi n'était pas vide mais abritait la dépouille du pauvre homme qui accomplissait son dernier voyage ainsi.

Quand Amédé me confirma cela, je ne voulus pas le croire. Alors nous descendîmes dans la rue, il ouvrit la porte arrière du fourgon et je me retrouvai nez à nez avec le corps enfourné dans un grand sac plastique blanc ne laissant dépassé que la tête, froide et exsangue, que je découvris à quelques centimètres de la mienne. Je ne pouvais imaginer que ce corps puisse passer la nuit dans ma rue, comme ça, sans gardien, sans égards, comme un vulgaire paquet dans un coffre ou un gilet oublié sur un siège.

Avec son humour bien particulier (ou son bon sens primaire), Amédé me dit que celui qui volerait le véhicule serait bien embêté d'un tel cadeau et que le corps, par lui-même, n'allait pas s'enfuir à toutes jambes et disparaître dans la nuit.

Tout de même, j'ai beau encore aujourd'hui me raisonner, je ne peux toujours pas admettre au plus profond de moi qu'un individu, après la mort, ne soit plus que quelques dizaines de kilos de viande destinée à une putréfaction plus ou moins rapide, que l'être que certains ont chéri, embrassé, qui a fait l'amour et à qui l'on a fait l'amour, se retrouve sous mes yeux ébahis au bord d'un trottoir, sans autre défense que l'appréhension du froid qui s'en dégage, livré à mon bon vouloir et sans plus d'identité, dans son linceul de plastique, qu'une saucisse sous cellophane.

Peut-être est-ce à ces moments-là que la prière prend tout son sens.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Dans le dos du fourgon surtout :))
Pardon !

Calyste a dit…

Parfois même, quand il se sentait fatigué, Amédé faisait une petite sieste, allongé à côté du cadavre! Mais bon, pas la peine d'en rajouter!