mercredi 4 juin 2008

Keith Haring.

En fin de matinée, je suis retourné à l'exposition Keith Haring, au Musée d'Art Contemporain, qui jouxte le parc de la Tête d'Or. Je l'ai visitée il y a quelques jours avec mes élèves, mais je voulais voir le troisième étage, où nous n'avions pas mis les pieds parce que réputé "hard", et comprendre pourquoi cet artiste, a priori à des années-lumière de moi, me plaît.

Le choix du jour et de l'heure était bon: presque personne, et des gardiens disponibles et souriants. Je me suis attardé bien sûr plus longtemps sur les oeuvres. J'en ai découvert que je n'aime pas, par exemple les sérigraphies intitulées Apocalypse (en collaboration avec l'écrivain William S. Burroughs).

En revanche, une autre, même pas aperçue la première fois, m'a retenu un long moment. Il s'agit d'une ouvre de novembre 89,"Sans titre", en collaboration avec Herb Ritts, une gouache, encre noire et collage papier sur papier, prêtée par la Collection Estate of Keith Haring de New York.

Comme Apocalypse, elle se démarque des oeuvres traditionnelles les plus connues de Haring. Elle représente cinq anneaux entrelacés, à l'instar de ceux des J-O, trois rouges, un gris et le dernier formé par la bulle de chewing-gum que gonfle un personnage chauve dont on ne voit que la tête sombre (un noir?), avec une boucle à l'oreille, et la main gauche qui tient entre le pouce et l'index une épingle prête à faire éclater cette bulle de chewing-gum.

Or s'inscrit dans la bulle le bas d'une photo en noir et blanc représentant un athlète bodybuildé (lui enfermé dans cette bulle) au corps somptueux, dans une pose propice à montrer tous les muscles de son anatomie, mais en même temps inspirant le sentiment de soumission: bras écartés comme pour une crucifixion, tête baissée vers le sol.

Tant de symboles accumulés dans une oeuvre aux dimensions réduites (61,9x74 cm)(et aux couleurs presque fades). En 89, Haring se savait atteint du virus du sida. Voulait-il tout dire dans un même espace, parce qu'il savait que le temps lui manquerait? Et comment lire cette oeuvre polysémique?
- le noir bafoué s'apprêtant à détruire l'univers du blanc?
- une allusion au poing levé des athlètes noirs Carlos et Smith après le 200 m. aux J-O de Mexico en 68? (d'autant que l'oeuvre, ici, à Lyon est présentée à côté d'un autre collage dont le thème principal est l'assassinat de Malcom X.)
- fragilité de la beauté physique face à la maladie?
- emprisonnement dans ces cercles de la vie?
- martyre des malades du sida?

Rien, dans cette oeuvre ne reprend le reste de la production: aucun symbole habituel, aucune couleur fluo, aucune forme entrelacée, peu de traits continus (les anneaux simplement), la tête et la main dessinées et non peintes. Alors? Alors rien. Je ne sais pas. j'aime, c'est tout.

J'ai également remarqué, surpris de retrouver là une des images d'Epinal homo (surpris non par la connotation homo, mais par le côté image d'Epinal) un Saint Sébastien inhabituel: violence des couleurs, violence du sexe et de la douleur, et prémonition: les flèches transperçant le corps du martyr ont été remplacée par des avions pénétrant ses chairs. Il aurait été intéressant de voir comment le pinceau de Haring aurait interprété le 11 septembre.

A la question du pourquoi ( pourquoi je me sens bien dans cet univers de Haring), je crois avoir trouvé quelques éléments de réponse: l'association qu'il a toujours faite visiblement entre sexe et mort, le mixage total entre monde contemporain et influences de l'antiquité, bien sûr son état d'homosexuel (raison pas primordiale), et surtout l'art d'une certaine symétrie, d'une composition stricte dans un fouillis apparent et l'aspect souvent minimaliste de sa peinture.

Précision pour les pédagos qui voudraient faire la visite avec leurs élèves: le troisième étage me semble parfaitement abordable par des pré-adolescents et a l'avantage de ne pas émasculer la production de Haring. Je ne comprends pas que l'on ait mis à part les oeuvres qui y sont exposées.

P-S: l'oeuvre dont je parle (celle aux anneaux) est représentée au bas de la page 12 dans le hors-série n°352 de la revue Connaissance des Arts consacré à Keith Haring.

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