dimanche 29 juin 2008

Le Bois d'Oingt.

J'avais presque réussi à me décider à éteindre cet écran un peu plus tôt ce soir, pour me reposer, pour lire, pour dormir. Et puis je l'ai vue, je ne l'ai jamais regardée pendant ces deux jours et c'est seulement maintenant qu'elle est apparue devant moi, comme si elle m'appelait.

Elle, c'est la photographie de Pierre qui est sur mon bureau. Je n'aime pas laisser traîner, ou exposer, partout des photos de morts dans mon appartement. Je n'ai jamais supporté cet hommage post-mortem. Je n'aime d'ailleurs pas beaucoup les photographies des gens, ni les miennes. Mes amis sont en moi, morts ou vivants, je ne veux pas figer ma "préhension" d'eux, je préfère les recréer à l'image que j'ai d'eux, chaque fois.

Je n'ai pas de regrets de ne pas avoir regardé cette photo. Pierre, lui aussi, est définitivement en moi, je l'ai déjà dit. Je laisserai pourtant ce petit cadre jaune sur ma table de travail parce que l'image qu'il me donne est belle. Le moment sans doute où notre amour a été le plus fort, après sa deuxième opération, quand il a compris que, malgré les apparences quelquefois, je ne m'étais pas éloigné de lui, quand j'ai compris que, malgré les démons qui m'attiraient parfois ailleurs, c'était lui, l'unique, l'aimé.

Il faisait beau, c'était au Bois d'Oingt, un petit village au début du Beaujolais, dans une maison de convalescence. Il est assis à l'ombre d'un épais feuillage, à une table de jardin en métal blanc, sur une chaise en même métal. Sur la table, une petite bouteille d'eau minérale; derrière lui, hors champ, le jardin et les parterres d'iris, de pivoines, les arches de roses, les buis taillés. Dans sa chambre, une orchidée, celle qui, pour ma joie, refleurit en abondance cette année.

Pierre porte une chemisette d'été à manches courtes, blanche à petits fils jaunes. C'est moi qui, comme d'habitude, l'avais achetée, et la même pour moi. Toutes deux sont aujourd'hui dans la penderie, je peux les utiliser indifféremment avec mes kilos en moins. Au poignet gauche, la montre que je lui avais offerte pour son anniversaire, et sur la main la trace bien marquée d'une brûlure au caramel un jour de pâtisserie.

Il avait déjà grossi. Les médicaments. Torse et bajoues s'imposaient davantage. Seul le bras, visible du poignet jusqu'au coude, reste étonnamment maigre. Les cheveux avaient repoussé après les chimios et si l'on ne voit que son grand front dégarni, c'est que ça n'a jamais été autrement.

Tout cela, je pourrai l'escamoter, ne plus l'avoir sous les yeux. Ce qui me fait conserver cette photo à côté de moi, c'est son sourire et ses yeux. Sourire un peu figé, il n'aimait pas être pris en photo et ne savait jamais quelle contenance prendre. Mais son sourire un peu narquois et en même temps avenant, son sourire d'intelligence. Je pourrais dire la même chose des yeux, du regard. Il avait les yeux bleus, certains disaient froids. Moi, jamais ils ne m'ont glacé, impressionné. Je n'y ai toujours vu que de la tendresse. Et c'est, derrière l'ombre de souffrance accumulée qui s'y était alors logée, cette tendresse, à moi uniquement adressée, que j'y vois encore aujourd'hui.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Je te comprends car moi aussi je ne suis pas très photo. Je n'en fais pas en vacances car je préfère voir et me souvenir. Pour les êtres aimés qui sont disparus, j'ai bien un album de famille mais je ne le regarde jamais. Cet album ne contient, il est vrai, que des photos de famille, pas de ceux que j'ai aimé, je n'en ai pas voulu.
Je pense souvent à mes morts, quel que soit le lieu. Par contre, dans une église, je leur dédie toujours une prière et, même si cela se perd de plus en plus, je vais au cimetière dès que j'en ai l'occasion, pour les saluer et ranimer mes souvenirs.
Mais nos proches comme nos amours sont en nous et je reste persuadé qu'ils nous voient et que nous nous reverrons tous.
Courage...Je suis sûr que c'est ce qu'ils ont envie de te dire !

Anonyme a dit…

Tu en parles avec une infinie tendresse si perceptible :)