Elle ne vivait plus que dans les livres. Elle ne les lisait pas, elle se plongeait dedans. Son travail, ses amis, elle les délaissait souvent, n'assurant que le strict nécessaire pour ne pas vivre tout à fait en ermite, pas encore. Même les repas, celui du soir surtout, étaient rapidement expédiés: une tranche de jambon et quelques légumes cuits à la vapeur mangés au coin de la table du salon en regardant les informations sur le monde qu'elles trouvaient trop déprimantes pour s'apitoyer.
Elle était devenue chasseur de coquilles. D'abord une ou deux, décelées au cours de ses lectures, à l'époque où l'intrigue l'intéressait encore. Mais en ces temps reculés, il existait de bons correcteurs sans doute car les fautes étaient rares. Elle ne les voyait peut-être pas toutes, emportée par son élan et ne lisant, à son habitude, que le début des mots pour avancer plus vite, ce qui lui avait valu de sérieux déboires avec les romans russes en particulier où il est si difficile de retenir les noms des personnages. Les frères Karamazov, par exemple, elle ne l'avait jamais terminé, perdu dans les patronymes, les surnoms et les diminutifs.
Maintenant, il était fréquent qu'elle en rencontre plusieurs dans le même ouvrage, sans compter les fautes d'orthographe qui l'exaspéraient bien davantage parce qu'elle n'avaient pas, elles, le mérite d'être drôles. Alors, petit à petit, elle s'était prise au jeu et n'avait de cesse de les traquer au fil des pages, en oubliant le reste, personnages, style, intrigues et atmosphère.
Chaque soir, elle s'enfermait dans son bureau et se mettait au travail, sérieusement, comme si le devenir du monde en dépendait. Il se passait parfois de longues heures sans qu'elle ne découvre une de ces pépites. Certains jours, elle perdait espoir et regagnait son lit bredouille. Elle avait cependant acquis un certain savoir-faire dans sa chasse aux mots déformés. Elle avait même repéré les éditions qui en contenaient le plus et n'achetait plus ses livres qu'en fonction de cela. Son budget s'en ressentait mais elle ne pouvait plus se passer de cette activité nocturne.
D'autres jours, c'était Byzance: plusieurs erreurs de suite, comme si le correcteur avait un instant relâché son attention. Elle les notait alors fébrilement sur un petit cahier bleu qu'elle réservait à cet usage, avec le titre de l'ouvrage et le numéro de la page. Elle avait, une seule fois, écrit à l'éditeur pour lui signaler aimablement la coquille mais n'avait jamais reçu de réponse. Sans doute s'en moquait-il, une fois le livre en magasin. Alors, elle avait cessé et n'avait fait de sa recherche qu'une occupation intime, à elle seule destinée, pour elle seule objet de joie et de contentement.
Un soir, elle avait beaucoup ri. Dans un commentaire sur un passage de Robinson Crusoé, elle avait lu que Vendredi était très reconnaissant à Robinson de l'avoir sauté. Le docte commentateur avait voulu écrire "sauvé", mais que c'était drôle ainsi! Ce qui l'avait fait rire, c'était d'évoquer la scène, l'homme civilisé et le sauvage en train de ferrailler sous les palmiers de l'île du Pacifique, dans la moiteur des tropiques. Une simple lettre transformée qui valait à elle seule tout un roman.
Souvent, les erreurs qu'elle rencontrait n'avait pas la qualité de celle-ci mais il aurait été difficile de la décourager. Elle épluchait même les revues et les magazines. Lorsque sa boîte à lettres débordait de publicités, elle ne les jetait jamais, comme ses voisins, dans la poubelle à prospectus. Elles finissaient sur son bureau, s'empilant dans l'attente d'être décortiquées et il était bien rare qu'elle n'en extraie pas une moisson de trouvailles.
Le bonheur est si simple, parfois.
(Texte inspiré par une page de La Marche de Mina, de Yoko Ogawa. Ed Babel)
jeudi 7 avril 2011
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9 commentaires:
"Elle avait même repérer". Moi aussi je l'ai repérée !!!!!!!
J'ai bien aimé ce texte, je me verrais assez bien attraper ce genre de virus.
La Plume: Grrrrrr! J'ai pourtant relu! Et puis, ce n'est pas une coquille mais une faute d'orthographe. Allez, je suis bon prince: je t'accorde tout de même , comme aux débutants en ski, ton premier "crayon". Merci.
Ah ! un crayon bois, à tailler ? Chouette !
Je serai assez d'accord avec ta lectrice lorsqu'elle note un relâchement dans le travail de ce point de vue, mais n'empêche que cette histoire de fautes (qu'elles soient de frappe,d'orthographe par ignorance ou par inattention) me reste un mystère. À chaque fois que j'ai tapé le point final à un de mes bouquins il y a eu plusieurs relectures de ma part, puis c'est Karagar qui s'y colle, puis nous revoyons ensemble, puis chez l'éditrice quelqu'un d'autre ( de très très qualifié) s'y met, je revois ses corrections une dernière fois, bon on ne peut pas dire que c'est du travail bâclé, eh bien à l'arrivée du bébé flambant neuf, qu'est-ce qui me saute à la figure, quelques énormités rescapées! Pas nombreuses certes, mais c'est (décou)rageant, et bizarre.
Moi aussi je vois les fautes, surtout celles des autres ou les miennes, mais longtemps après l'écriture (sur le coup, je ne vois rien). Nous sommes plusieurs à être atteints, mais je connais une collègue qui ressemble à ta dame. Elle est allée jusqu'à corriger une faute sur un post-it qui avait vocation à être détruit. Je relis et corrige les fautes des rapports de mes collègues. Je croyais être déjà pénible, mais je suis loin d'être atteint à ce point là. Et je trouve que mes collègues font de moins en moins de fautes, même les "petits jeunes". Ou alors, j'ai la vue qui baisse...
La Plume: oui, bois, avec un joli taille-crayon à l'ancienne, de ceux qui faisaient de si belles mines qu'on avait tout de suite envie de bien écrire. Pas de ces petits monstres boursoufflés en plastique d'aujourd'hui.
Cornus: oui, cher, tu dois avoir la vue qui baisse, car je trouve, moi, que les fautes d'orthographe ont plutôt tendance à se généraliser. Ainsi, ce magnifique" ACCUEUIL" gravé sur une plaque de métal à l'entrée de l'une des facs de Lyon! Ou le non moins savoureux "médecine GÉNÉRAL" gravé itou sur la porte d'un médecin près de chez moi! Mais, après tout, c'est peut-être un médecin militaire...
Non, je t'assure, j'ai tiré le gros lot, mes collègues ne font pas trop de fautes. La faute (de frappe) à accueil, je serais capable de la faire et ne pas le voir immédiatement, surtout si c'est en majuscules. Je vois moins les fautes en lettres capitales. Ceci dit, je trouve inadmissible que l'on fasse des affiches ou des panneaux qui coûtent très chers et que l'on ne fasse pas vérifier par quelqu'un d'autre qu'il n'y a pas de fautes ou d'erreurs.
Cornus: le pire que j'ai vu, c'est au Québec, à l'époque où il voulait simplifier l'orthographe du français. C'était véritablement n'importe quoi. Je crois que, depuis, ils en sont revenus!
Allez, je me joins au concert des vieux cons qui font cliqueter leurs dentiers comme des catagnettes : moi, ce qui m'ASSOIT PAR TERRE en matière de fautes, ce sont celles que l'on a gravées sur les plaques des pierres tombales ! "A ma mamie chéri" 'Nous ne t'oubliront jamais" "Regrets etternels". J'en débusque régulièrement dans les cimetières qu'on visite (une autre activité de Vieux Con).
Lancelot: ou à la porte de certains praticiens, par exemple "Médecine général"! Un médecin des armées (désarmé?), sans doute!
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