Il est tard et j'écris. J'ai pensé à tout cela tout à l'heure. L'idée m'en est venue sans doute après la messe dite pour le collège à Saint-Irénée le huit décembre. Vincent a fait venir à l'autel quatre ou cinq enfants qui ont tous dit, dans une langue différente, la même phrase: "Merci, Marie, d'avoir dit oui." Il m'avait demandé de traduire ces mots en latin, et j'avais un peu interprété en écrivant: "Ave Maria, tibi gratiam habeo per laetitiam tuam" (Je te salue, Marie, et te remercie de ta joie.)
Mais Marie éprouva-t-elle de la joie à ce moment-là? Lorsque Gabriel lui annonça la bonne nouvelle et lui dit qu'elle enfanterait, bien que vierge, parce que l'ombre de l'Esprit Saint la recouvrirait et que la puissance de Dieu la féconderait, n'est-ce pas plutôt de la peur qu'elle dut éprouver face à l'ampleur du prodige? Si l'on fait abstraction de ce qui suivit, du message d'amour et de douceur de l'Évangile, cette scène ne peut-elle apparaître comme un rite archaïque, sacrifiant une jeune vierge aux instincts sanguinaires et bestiaux d'un Moloch assoiffé de puissance destructrice? Cette ombre qui recouvre tout a de quoi effrayer, terrifier même cette fille sage que rien n'est venu jusque là troubler.
Imaginer cette enfant juive à ce moment précis m'a toujours fasciné. Ce court instant, ces minutes, ces secondes ultimes où tout se décide. Et si elle avait dit non. Si elle s'était enfuie terrorisée et refusant à la fois la grâce présente et les souffrances à venir? Le moment de l'Annonciation ne peut être que figé (et pourtant plein de mouvement en devenir), le temps que le message pénètre le cerveau de Marie et qu'elle acquiesce. Ce moment est la juste coupure entre avant et après, le juste basculement d'un monde païen archaïque à un monde chrétien qui a pour intention de transformer l'humanité.
Je pense que, dans la vie d'un homme, chaque moment de choix est de la même essence. Ne pouvant voir l'avenir, on choisit en aveugle et du choix que l'on fait de cette manière si peu certaine, dépendent des conséquences engageant toute notre vie et celle des autres. Mais peut-on être ensuite désavoué pour un mauvais choix? J'ai en tête ici particulièrement tous ces gens, comme mes parents, qui ont vécu la guerre, qui en ont souffert mais qui n'ont pas eu à partir dans des wagons plombés vers de lointains camps dont bien peu savaient de quoi il s'agissait. Ils ont sans doute fait le choix du quotidien, - qu'allons-nous manger? Comment nous vêtir? -, plutôt que celui de l'héroïsme. Peut-on le leur reprocher aujourd'hui?
J'ai entendu tout à l'heure que des lycéens qui manifestaient pacifiquement devant leur établissement ont été chargés par un nombre impressionnant de policiers dont certains portant mitraillettes au poing. Peut-on, sans réagir, laisser passer de tels comportements? C'est pourtant ce que nous faisons, en majorité. Et ne pourra-t-on pas nous le reprocher dans quelques dizaines d'années? Comment sera l'avenir? Suffisamment radieux pour faire oublier des actes aussi violents? Ou au contraire si encadré que l'on regrettera de ne pas avoir réagi tant qu'il en était encore temps? N'ayant pas la grâce de la petite juive, nous ne savons pas ce qui adviendra. Elle-même le savait-elle? Si non, elle a eu bien du courage. Si oui, nous sortons totalement de la dimension humaine car aucun humain ne pourrait accepter le sacrifice futur de son seul enfant.
Ce qui m'émeut le plus, c'est la solitude de cette enfant au moment le plus crucial de sa vie. Personne à qui demander conseil, personne à qui en référer. Il fallait répondre tout de suite (en tout cas, on l'imagine) et donner sa confiance (et sa vie). Lorque Gabriel s'en fut allé, lorsque la pièce où venait de se nouer le sort de l'humanité retrouva son aspect habituel, que ressentit-elle? Que fit-elle? Dans de nombreux tableaux de la Renaissance, on représente le moment de l'Annonciation dans un décor intime, où, par exemple, un chat aux pieds de Marie joue avec une pelote de laine. La jeune fille reprit-elle sa tache de tricot en se baissant pour retrouver la laine que le chat avait fait rouler plus loin, s'asseyant devant la fenêtre pour profiter de la clarté, maniant un instant les aiguilles puis relevant la tête vers la lumière en imprimant à son visage enfantin un sourire de madone? C'est ainsi que j'aime m'imaginer la scène. Le choix a été fait, reste à l'assumer, ce qui n'est pas le plus difficile une fois la décision prise.
Ai-je réussi à dire ce que je voulais dire ici? Je n'en suis pas sûr. Tant pis. Il faudra que je réessaie.
dimanche 13 décembre 2009
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13 commentaires:
Il faudra réessayer car tu dis beaucoup de choses...Mais c'est toujours si bien écrit...Alors...On imagine...
Si Marie a été choisie, c'est peut-être aussi, sûrement, parce que, malgré sa jeunesse, elle possédait une force et une grandeur d'âme différentes de celle des autres jeunes filles. C'est pour cela aussi qu'elle avait été "élue". Elle n'était donc pas suceptible de s'enfuir terrorisée ou de refuser.
Le parallèle avec les choix auxquels nous sommes confrontés de nos jours me paraît curieux et m'échappe un peu. Il faudra que je revienne relire. Bon dimanche à toi.
Sans vouloir casser le charme de ton billet, je me demande quel sens il peut y avoir à philosopher encore sur la réaction e Marie. Parce qu'enfin, vierge et enceinte ! Et fécondée par le sur machin chose...
Le débat n'est pas nouveau, c'est vrai. Mais à chaque fois il me cloue sur place.
Pour répondre à Olivier Autissier, il y a de par le monde bien des mythes tout aussi "incroyables" dont les hommes partent pour alimenter leur réflexion, à commencer par tous les mythes fondateurs, monothéistes ou pas. Pourquoi pas celui-ci...La foi n'est même pas, me semble t'il, nécessaire. Est-ce que nous croyons à Sisyphe avant de réfléchir à la petite pierre que nous roulons sans cesse ?
Je me souviens de longues discussions avec cet ami catholique qui vouait un culte particulier à Marie, culte que je ne partageais pas, calviniste que je suis, et donc assuré que le seul mot de "vierge" est une traduction "délibérément erronée" d'un mot hébreu signifiant d'abord "jeune servante". Mais que cet ami travaille sa Foi au moyen d'un culte marial ne me gênait pas.
Car à mon sens, c'est le produit de la Foi à un mystère qui importe (cf. la parabole du semeur).
Les hommes, sans doute, feraient mieux de partir du réel pour alimenter leurs réflexions. Probablement, ça leur éviteraient bien des destructions basées sur ces mythes si extraordinaires.
Bôfff... C'est dans la nature humaine de (se) créer des mythes, c'est pas demain qu'on parviendra à se débarrasser de cette tendance-là... Evidemment c'est souvent leur mille et une interprétations possibles, et surtout le fait d'ériger ces interprétations en dogmes, qui occasionne drames et guerres. Une plus grande réflexion, un plus grand recul, et surtout de la tolérance et du respect par rapport à ce que nous ne connaissons pas, ne comprenons que mal, aideraient un peu.
S'il suffisait de "partir du réel pour alimenter les réflexions et éviter bien des destructions", ça se saurait ! Tous les conflits ne sont pas dûs qu'aux religions et croyances, fort heureusement. ils prennent souvent leurs racines dans du concret.
Et je ne me pose nullement en tant que défenseur d'un mythe, quel qu'il soit, celui de la Vierge ou n'importe quel autre. Agnostique je suis et je reste. En essayant de rester tolérant.
je crois que les décisions importantes de sa vie sont prises aussi dans la solitude (en tout cas intérieure) en tout cas tout cela est bien mystérieux ou merveilleux..
Si elle avait demandé conseil, ne lui aurait on pas déconseillé ce choix ?...
On fait des choix tous les jours, et j'en ai fait un ce soir, qui, si j'avais demandé conseil, aurait pu être différent... Après ce choix certaines personnes m'ont jugé violement, ce qui a surement dû être le cas de Marie ?!
Maintenant pour moi, protestante, vierge ne veut rien dire...
En tout cas, ton post est magnifique...comme souvent
Sur un autre sujet - je ne suis pas un grand adepte du culte marial - je trouve que l'objet de ce billet rejoins deux émotions que vous mettez en avant disons assez souvent: l'excitation devant l'inconnu, la découverte, la possibilité de choisir, d'être maître de son choix... et la plénitude, une forme de bonheur de "savourer" ce choix... même si je ne sis pas sûr que sous la bare, vous arboriez un sourire de madone ;-)
Ce que je ressens, en lisant votre article, c'est une grande foi de votre part (m♪6me passant par des doutes, et pourquoi pas ? ) et cela.. oui, cela est réconfortant. Alors, c'est à vous que je dis merci : merci d'oser encore parler de Marie. Je croyais ( je craignais) être la dernière à le faire.
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Je veux bien que tous les conflits ne soient pas dus à la religion, mais il s'en est souvent trouvé une ou deux pour donner un avis favorable le moment venu ou, en tout cas, à pudiquement fermer les yeux quand elles sont prêtes à les écarquiller sur bien des aspects de la chose humaine ! Mais je pense qu'il n'était pas, ici, question de l'Eglise.
Par ailleurs, autant je vois la portée symbolique du mythe de Sisyphe, une parfaite illustration même de bien des élans humains, autant dans le cas de la Vierge...
On est là justement face à un mystère...
Le problème pour nos esprits cartésiens est sans doute de ne pas toujours accepter qu'il n'y a pas d'explication rationnelle, du moins si il y en a une ou si il devait y en avoir une.
Lorsqu'on est croyant, on n'a pas besoin de comprendre mais de ressentir . Une présence, un acte, un moment.
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