Non, ce n'est pas un pastiche de titre de Robert Guédiguian mais les prénoms de deux dames dont j'ai fait assez récemment la connaissance. Deux vieilles amies de Jean-Claude. Si elles savaient que je dis "vieilles amies" en les évoquant, je crois bien que tous les efforts de charme que j'ai déployés avec elles jusqu'à aujourd'hui pour les apprivoiser seraient réduits à néant. Pourtant chacune d'entre elles s'en va allégrement sur le chemin qui les mènera sous peu à leur octantième anniversaire.
Quand on les rencontre, on ne s'en rend pas du tout compte: elles sont joyeuses, sortent volontiers le soir, ne souffrent d'aucune maladie grave, pas même, apparemment, de douleurs qui pourraient embêter leur troisième âge. Rien de tout cela. Elles mangent toutes deux avec appétit, même si Jeannette arrive assez vite à satiété alors que Lucienne est plus délicate dans le choix de ce qu'elle ingère. J'ai cru comprendre que chacune a depuis longtemps un "chevalier servant" qui n'habite pas avec elles mais avec qui elles entretiennent parfois des relations "rapprochées". Elles apprécient l'alcool (avec modération) et ne s'effarouchent pas si la conversation glisse tout à coup vers des zones un peu chaudes où les hommes sont largement majoritaires.
Physiquement, elles ne se ressemblent guère: Jeannette est petite et menue, plate comme un discours de J-F Copé, si discrète parfois qu'elle pourrait passer inaperçue. Elle s'habille simplement, sans chercher l'effet. Lucienne, au contraire, cultive l'élégance et met en valeur son encore gracieuse poitrine dans des robes aux coloris clairs et à la taille ajustée. Elle est blonde, naturellement.
Lorsque je suis arrivé chez Jean-Claude après la messe à Sainte-Madeleine, elles étaient déjà là, assises toutes deux sur le canapé de cuir, m'installant entre elles en attendant que le premier bouchon saute. Je les avais déjà rencontrées deux ou trois fois auparavant et peu à peu mon charme naturel (!!!) et l'agrément de ma conversation (!!!!) ont eu raison de leurs réticences face à ce nouveau venu qui troublait un ordre établi depuis visiblement longtemps.
A cette veillée de Noël, elles furent particulièrement décontractées (effet des petites bulles?) et, au milieu du repas, n'hésitèrent plus à évoquer leurs souvenirs de la dernière guerre. Ce qui nous valut pendant quelques instants d'assister, pour notre plus grand plaisir, à un combat verbal à fleurets à peine mouchetés. Pour comprendre, il faut savoir que Jeannette et Lucienne sont amies d'enfance, de petite enfance si j'ai bien compris. Elles habitaient la même rue, sur les pentes de la Croix-Rousse, mais l'une ( Lucienne) était fille d'épicier alors que l'autre (Jeannette) était fille de client de ladite épicerie. Ce qui fait toute la différence.
Le feu prit avant même que l'on se soit rendu compte que l'on avait craqué l'allumette. Lucienne, en verve, voulut raconter une anecdote vécue un soir où elle était allée au cinéma. Elle n'en eut pas le temps. Jeannette bondit et ne la laissa pas finir sa phrase: Au cinéma, pendant la guerre! Alors que d'autres crevaient de faim! C'était bien le moment d'aller au cinéma! Lucienne, tout sourire, fit comme si elle n'avait rien entendu et poursuivit. Alors Jeannette s'énerva: bien sûr, quand on a une épicerie pendant ces temps de disette, on a la vie belle, on ne manque de rien. Le marché noir ne fut pas abordé mais il s'en fallut de peu.
Il faut bien dire que Jeannette n'avait pas tort et que tous, autour de la table, étaient d'accord avec elle au moins sur un point: Lucienne n'a aucune idée réelle, réaliste de ce qu'a été la guerre. Moi, en tant que petit dernier arrivé, je me gardai bien d'apporter mon grain de sel à la conversation. En réalité, je crois sincèrement que cette rixe n'inquiéta personne: les deux duettistes venaient de faire un numéro qu'elles avaient déjà maintes fois donné et dont elles savaient qu'il aurait un succès assuré. L'instant d'après, d'ailleurs, elles riaient de plus bel toutes les deux à la fois en évoquant un autre souvenir de cette époque glorieuse.
Moi, ces deux vieilles dames indignes, elles me plaisent bien. Je serais heureux qu'elles me racontent encore leur jeunesse sur les pentes, à l'ombre du Gros Caillou, en voisines de la Mère Cottivet et de Mame Craquelin, en dignes filles d'un Lyon qui n'existe presque déjà plus.
lundi 28 décembre 2009
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