mercredi 2 décembre 2009

Lendemain

J'ai dit hier que je reparlerai des deux rencontres faites lors de la soirée anti sida. La première, bien que très agréable, n'est pourtant pas la plus importante.

Alors que J. et moi nous mettions en place, nos lumignons allumés à la main (le mien n'a jamais voulu rester éclairé), pour former sur la place des Terreaux le dessin du traditionnel ruban rouge, un tout jeune homme s'est mis à ma gauche et m'a aimablement dit bonsoir. Son grand sourire indiquait clairement qu'il avait envie d'engager la conversation. Ce qui fut fait avec plaisir visiblement de part et d'autre. Romain est étudiant en premier année aux Beaux-Arts. Arrivé cette année de Grenoble, il découvre Lyon avec des yeux qui, à certains moments, rappellent ceux de Bambi dans le dessin animé de Walt Disney (est-ce vraiment un entier compliment sous ma plume?). Nous avons parlé longuement de cette auguste institution puis de photos, beaucoup. C'est un peu à regret, c'est vrai, qu'il a fallu écourter la conversation mais le concert d'AVAV n'attendait pas et nous avions encore toute la colline à grimper.


Bien agréable début de soirée donc mais qui avait été précédé par une autre rencontre un peu plus tôt, des retrouvailles pour être plus précis. Alors que nous venions d'arriver, j'ai aperçu tout près une très ancienne connaissance lyonnaise: Maurice. Je connais ce garçon depuis les tous premiers mois de mon installation à Lyon. Il a aujourd'hui 68 ans et présente encore assez bien, malgré un embonpoint certain. A l'époque, il vivait avec un ami, Robert, un garçon aussi calme et réfléchi que lui pouvait être exubérant et parfois provocateur. Tous les deux avaient adopté une forme de relation assez libre quant aux relations sexuelles et j'eus maintes fois l'occasion de pratiquer ces messieurs soit ensemble, soit séparément. Et puis je les perdis de vue, pour quelque temps, pour les retrouver un peu plus tard, toujours aussi libres, toujours aussi unis. Leur couple a duré plus de quarante ans. Quand j'ai aperçu Maurice seul, sans Robert, sur la place, j'ai eu un instant de doute. Ma supposition me fut confirmée par Maurice: Robert est mort en 2006, un an après Pierre (dont j'appris également la mort à Maurice), d'une maladie pulmonaire (qui n'est ni un cancer ni due au sida).

Maurice me parla des derniers jours, de sa solitude, de la nouvelle vie à gérer. Je n'avais aucun mal à le comprendre. Lui qui était si vivant et dynamique autrefois me parut un peu sombre, comme ralenti. Pour faire diversion, j'ai appelé J., qui jusque là s'était par délicatesse tenu un peu plus loin et je les ai présentés. Puis j'ai voulu rendre un peu d'espoir à Maurice et c'est tout naturellement que je lui ai parlé de moi, de mes réactions, de mes ruses pour m'en sortir, de mon abattement aussi, bien sûr, certains soirs. Et en parlant, j'ai découvert que ce que je disais était vrai.

Ce que je viens d'écrire pour surprendre mais c'est pourtant exactement ce que j'ai ressenti à ce moment-là. Ce que je veux dire, c'est que longtemps j'ai eu ce discours optimiste, volontaire, presque joyeux de celui qui remonte la pente et voit déjà le bout du tunnel. Mais longtemps ce ne fut bien souvent qu'un discours vide de réel contenu, une sorte de collier de mots destiné à me rassurer moi-même, à rassurer les autres aussi, qu'une application à trouver le plaisir, la joie, l'étonnement, tout ce qui pouvait m'aider, c'est sûr, mais que je n'étais pas encore apte à goûter pleinement.

Hier, ces mots étaient vrais. J'ai un instant regardé J. Il semblait ne pas écouter mais je suis sûr qu'il a entendu. Lorsque j'ai dit que j'étais à nouveau monté sur le cheval (de la vie), c'est aussi à lui que je parlais, pour le remercier d'avoir tant de fois contribué à me remettre le pied à l'étrier. Ma vie n'est certes pas un long fleuve tranquille, mais qui peut se vanter d'en avoir une telle? Ce dont je suis sûr maintenant, c'est que, lorsque je dis que je suis bien, je le suis réellement. Et j'ose le dire à ceux à qui j'ai envie de le dire parce que je suis bien avec eux. C'est aussi simple que ça.

9 commentaires:

KarregWenn a dit…

Et cerise sur le gâteau, lire cette note fait du bien, beaucoup, à la lectrice, et je pense aux lecteurs suivants.

Nicolas a dit…

La mort n'est - peut-être - qu'une fin en soi.

Calyste a dit…

Je vais finir par me faire payer, Karregwenn :-))

Je ne crois pas, Nicolas. Enfin, je crois que non.

Calyste a dit…

En relisant ma phrase pour Nicolas, je me rends compte qu'elle peut être lue de plusieurs manières. Voici celle que je voulais transmettre: je ne crois pas que la mort soit une fin en soi.

karagar a dit…

Oui, il y a quelque chose d'apaisant dans ce dialogue entre je souffre encore et je peux aussi aller sincèrement bien... d'autres choses m'ont interessé que je ne commenterai pas

Calyste a dit…

Mystérieux, Karagar?

Cornus a dit…

Eh bien j'ai moi aussi aimé cette note pour l'apaisement qu'elle procure. Parce que, évidemment, je fus adepte un temps de dire que tout allait bien alors que c'était faux. Certains néanmoins s'en étaient aperçus.

Lancelot a dit…

Mais on ment toujours (au moins à 1%) quand on dit qu'on va très bien. C'est évident. personne n'atteint jamais la plénitude parfaite.
Ce qu'il y a de plus intéressant, c'est aussi que le contraire est vrai : quoi qu'on en pense, on n'atteint jamais le fond du gouffre du désespoir.
On flotte, entre les deux, en essayant toujours de se rapprocher de la lumière ; la 'méthode Coué' telle que tu la décris est le seul moyen intelligent et constructif de faire des brasses dans cette direction, bien sûr.
Et nager, c'est vivre. Bien plus que survivre.

Calyste a dit…

C'est la vie qui apprend à flotter entre deux, Lancelot, mais les remontées vers la lumière sont extraordinaires. Je sais de quoi je parle!

Je te rajoute sur la note, Cornus.