Ma sœur a pris quelques jours de vacances. Paris. C'est donc moi qui me suis occupé de ma mère toute cette fin de semaine, avec repas chez moi aujourd'hui.
Quand je suis allé la chercher, elle était avec les autres au salon, en bas comme elle dit, elle, sans que je sache pourquoi. Elle avait cet air un peu égaré que je lui vois souvent le matin (quand je la vois le matin). Ne pas brusquer, aller lentement. Elle est très vulnérable dans ces moments-là. Elle se laissera mettre son manteau et ses souliers, une écharpe même, sans rechigner. La journée commence bien.
Pour le repas, j'ai eu du nez. Je sais qu'elle raffole des crevettes. Je lui en ai servi en entrée avec un avocat bien mûr à point, exactement ce que je voulais et que j'ai trouvé un peu plus tôt au marché. Elle aime aussi l'avocat, mais ne touchera pas aux champignons émincés que j'avais rajoutés avec un petit filet de jus de citron.
Sa joie fut même palpable quand elle découvrit la choucroute, dont elle se laissa servir une bonne assiette, qu'elle ne finit certes pas mais entama très sérieusement. Elle n'eut pas droit au Riesling qui l'accompagnait, à cause de ses médicaments. D'ailleurs, quand je lui proposai de tremper les lèvres dans mon verre, elle refusa. Bien sûr, quand je lui demandai si c'était bon, elle répondit comme à son habitude: "Ça peut aller!". Cette réponse me peine chaque fois, non en tant que telle mais parce qu'elle me rappelle mon enfance, quand je rapportais de bonnes notes de l'école et qu'elle disait la même phrase, sans jamais un compliment. Par la suite, quand je me suis rendu compte que je suivais inconsciemment le même chemin dans mon métier de prof,j'ai dû, moi, faire un effort considérable pour glisser parfois un "Bien" sur une copie. Voir le sourire alors de certains élèves m'en récompense largement aujourd'hui.
Un peu de fromage, et le dessert arriva: un chou chantilly. What else? S'il n'y a pas sa pâtisserie favorite, ce n'est pas vraiment dimanche. Puis le café: elle est comme moi, elle l'aime fort et bouillant. J'ai sans doute hérité de son gosier qui supporte les hautes températures.
Puis je l'ai installé en long sur le canapé du salon, avec des coussins sous la tête et la table basse collée à elle pour éviter la chute. Installé sur un fauteuil en face d'elle, j'ai lu un instant puis me suis assoupi un peu. Quand je me suis réveillé, elle dormait encore. Une heure sans bouger, fait rarissime! A son réveil, elle s'est légèrement redressée sur les coudes et a regardé autour d'elle, ne reconnaissant pas son cadre habituel. Puis elle m'a vu et m'a, sans parler, adressé un petit geste de la même. Décidément; nous étions dans un jour faste.
Il faisait un temps magnifique aujourd'hui à Lyon: un ciel superbement bleu, pas de vent, des températures quasi printanières. Alors, j'ai profité de sa bonne humeur après la sieste pour programmer une promenade dans les rues. Je sais qu'elle aime ça par dessus tout et que ce ne sont que ses angoisses (accident, retard au retour, pluie, peur de manquer une visite...) qui parfois la font renoncer. J'ai poussé le chariot pendant deux heures (et ce soir, je m'en souviens encore, dans les bras et dans le dos), je lui ai montré ce qu'elle ne connaît pas et qui peut arrêter un instant son attention: le tram, le bâtiment des impôts, l'Auditorium (qu'elle a remarqué toute seule de part sa forme étrange), l'immeuble encore inhabité du cours Lafayette où s'est produite, il y a quelques mois, la terrible explosion de gaz.
Jusque là, je connaissais bien cet itinéraire pour le pratiquer souvent en vélo. Je savais donc les trottoirs à éviter, où se trouvaient les bateaux et je n'ai pas eu de grosses surprises avec le chariot. Mais c'est bien dans ce genre de circonstances, quand on est directement concerné, qu'on se rend vraiment compte que rien, ou presque, n'est fait, dans les rues, pour faciliter le déplacement des personnes handicapées. Sans parler de ces imbéciles qui pensent que la ville a aménagé ces endroits pour que eux justement puissent s'y garer!
Ensuite, descente du cours Lafayette, à gauche avenue de Saxe. On passe devant l'immeuble où j'ai vécu dix-sept ans avec Pierre. Elle reconnaît le quartier, évoque quelques souvenirs, dont une messe de la veillée de Noël à l'Immaculée Conception. Je veux lui montrer les aménagements des bas-ports du Rhône à la hauteur de la Préfecture. Elle ne veut pas rester, même en haut, sur le quai: je crois l'entendre dire qu'elle a peur de la foule, je suis sûr qu'elle me dit avoir peur de tomber du quai sur le bas-port. Et puis, il y a l'eau, en bas, le Rhône. Je n'insiste pas.
Rentrés à la maison. Ma sœur appelle. Pendant que, comme à son habitude, ma mère entame la liste de ses jérémiades habituelles, et en rassurant ma sœur, je prépare des pommes au four. Recette hyper simple et rapide donnée par J. Mais ça marche moins bien que prévu: il fallait des golden, je n'avais que des gala, et leur peau est un peu trop épaisse.
Il est temps bientôt de regagner la clinique. Après son repas du soir, et alors que je lui souhaite une bonne nuit, heureux d'avoir passé une bonne journée, rien que tous les deux ce qui est rare, d'avoir géré son stress, de n'avoir pas eu à m'énerver, d'être resté constamment calme, une de ses dernières phrases du jour sera: "Tu es content de t'en aller".
Il y a des jours où l'on est d'excellents traducteurs. J'ai compris: "Merci".
dimanche 25 janvier 2009
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6 commentaires:
Si la peau reste dure, on peut racler la pulpe à la cuiller.
Tu restes un homme excessif (n'y vois là aucun jugement) : faire un tel tour en ville tient du marathon, non ?
C'est bien que ta mère ait passé une bonne journée, tout comme toi on dirait.
Bises, J.
Que de délicatesse envers une mère qui n'a pas du vous donner que du plaisir (supposition de ma part) !
Mais une mère reste une mère et le sentiment indélébile qui nous lit à elle perdure au-delà des souffrances...
Une mère reste une mère, ...bien sur, mais justement quand les rôles s'inversent c'est assez déroutant...
Oui, J., le dimanche fut bon et j'ai vraiment goûté au soleil, ce qui explique la longue promenade.
Les rapports entre parents et enfants, et particulièrement entre mère et fils, sont toujours très complexes. En plus, ici, c'est sa maladie qui est en cause, et très peu sa personne.
Le petit assoupissement du fils pendant que sa mère dort, je trouve ça hypermimi.
J'aime beaucoup les crevettes, les avocats, la choucroute, les pommes au four (au fait : si après les avoir évidées du trognon, tu plantes à l'intérieur des petits fragments de bâtonnets de cannelle pour la cuisson, c'est encore plus délicieux...). Et pour la visite guidée de la ville je n'ai pas besoin de chariot ! Quand est-ce que tu m'invites ? ;-)
Tu es invité quand tu veux, cher. Avec grand plaisir.
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