Et si nous partions pour un voyage, tous les deux, nous seuls, égoïstes et amoureux. Où voudrais-tu que je t'emmène, que voudrais-tu me faire connaître? Le monde est grand, mon amour, et tout y est beauté. Dans ta main, la mienne s'en irait, confiante et attentive. Par elle, je comprendrais ce que tu me murmures, elle m'inventerait ta syntaxe, te traduirait mes extases. C'est ta peau qui m'apprendrait à voir, derrière le bois l'étang gelé, au fronton du jardin la rose épanouie et le sourire aux yeux des malheureux. Moi, je te ferais franchir l'écume des torrents, marcher sur la gentiane sans écraser sa fleur, je te dirais l'odeur des étables l'hiver et des marais l'été, l'acre du champignon et l'envoûtement de la fleur d'acacia.
Le soir nous rentrerions dans la chambre secrète, nous refermerions la porte sur nos confidences à venir, interdites au rôdeur, reposerions notre fatigue sur l'épaule de l'autre, tenu tenant debout contre le buste aimé. Manger des pommes et des oranges et boire l'eau du broc qui sent encore la pierre. Dormir dans des draps rêches qui pèsent sur nos corps et parler en rêvant, jusqu'au petit matin. Ou bien regarder les étoiles et se réciter leur nom comme on prie dans la Bible.
Parfois, nous rencontrerions des gens intéressants avec qui nous prendrions un verre ou un repas italien mais rien ne nous détournerait de nous, même pas la sombre silhouette des arènes endormies dans la touffeur du ciel toscan. Un seul mot, c'est ta bouche, une seule phrase ton visage, un seul livre notre histoire. Les autres ne comptent pas, pas tout de suite. Nous les aimons aussi mais qu'ils attendent un peu. Presqu'en nous excusant, nous fixerions nos images avec nous seuls impressionnés, blanc ou noir de la pellicule, des photos à classer que nous ne classerions pas.
Tu conduirais, et moi parfois. Nous avons, nous avions, nous aurions toujours des choses à nous dire et quand nous nous tairions, ce serait pour écouter le silence de l'autre, ou le pneu rouler sur la chaleur du mirage, ou l'air de la montagne joué par les sapins. Parfois, sans raison, nous éclaterions de rire et de voir l'autre heureux nous ferait rire encore. Nous ne nous toucherions que peu: le désir, ça s'accumule. C'est le soir que nous compterions notre trésor.
Nous nous rappellerions d'autres voyages, que nous nous redirions, dans les moindres détails, ceux de l'un , ceux de l'autre, parfois les mêmes, et nous complèterions nos rêves partagés: Tu étais maigre alors; toi, tu fumais des brunes; je me souviens de ce grand pré trop sec et des ruines dans l'eau; tu n'avais pas mangé, tu étais trop malade; je n'avais pas encore appris à parler l'italien; tu n'avais qu'à sourire et tu le savais bien...
Et je ne saurais pas, heureux, heureux, que c'est moi qui le refermerais, seul, le livre écrit à deux. Que j'y trouerais le point ultime à grands coups pour me faire mal. Ne pas entendre ce que tes doigts ne me diraient plus, ne pas voir ce que tes yeux ne me souriraient plus. Écouter encore, sans même y croire, le va et vient du balancier que je ne relancerais pas peu à peu ralentir son allant et s'arrêter enfin dans la nuit glacée, car lui saurait déjà le poids terrifiant d'un silence.
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4 commentaires:
Silence...
Merci
...frissons...
(et le cancre au fond de la classe reste bouche bée... l'a pus b'soin d'regarder par la fenêtre pour s'évader...)
Oui, le troisième élève, assis au deuxième rang, en face de toi, baisse les yeux par excès d'émotion.
Merci pour ce cadeau, inattendu pour moi, à cette date.
Cliquez sur le nom de Piergil dans son commentaire et allez voir la splendide image de la campagne toscane (ou plus certainement ombrienne, près de Volterra)) qu'il nous offre. Merci, Piergil, car, dans ces paysages, j'ai été très heureux.
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