Écrire est un acte étrange, surprenant, déroutant, qui n'a rien de naturel. J'ai envie de parler de ça, ce soir, sans savoir si j'en aurai le courage et le temps, sans savoir si je réussirai à ordonner mes idées. Tant pis. Si non, j'y reviendrai car ça me tient à cœur.
Voilà plusieurs jours que je commence un billet avec l'intention d'y exposer quelque chose de précis, de bien défini dans mon esprit. Or, très vite dans son déroulement, mon billet m'échappe et prend une tournure inattendue, comme si ce qui devait être dit avait choisi, pour sortir au grand jour, les habits d'un autre, se grimant pour ne pas être reconnu.
Pourquoi l'esprit use-t-il de tels détours pour se confier? Je pense que la pulsion seconde, non pas celle qui pousse à écrire mais celle qui pousse à écrire ce que finalement l'on écrit est plus forte que la claire vision de nos intentions. Tel soir où j'ai un peu de blues, c'est en fin de compte un billet joyeux qui va rester, comme une automédication par le clavier. Tel autre soir où la fiction me tente, je reviens très vite sur un épisode de ma vie, sur un souvenir réel.
Quel chemin cette lave à expulser prend-elle et que deviendrait-elle si elle ne trouvait pas son passage? Dans quelle mesure, pour moi, par exemple, les photos aident-elles à creuser ce chemin les soirs où la pression menace sans trouver sa sortie? Je peux de moins en moins dissocier ces deux formes d'expression, photos et mots, même si les mots me sont plus familiers. D'ailleurs, le vécu est le même avec les photos: si j'en choisis toujours une en rapport avec le texte, c'est souvent plusieurs jours plus tard, pour certaines, que j'en vois l'autre face, celle de sa correspondance, au sens baudelairien, avec les mots.
Rien de naturel dans la position physique de l'écrivant: pour la plupart d'entre nous, je suppose, nous sommes assis devant l'ordinateur, collés au bureau. Qu'y a-t-il de vivant dans cette position? La vie ne connaît que deux positions essentielles: debout, pour avancer, et coucher, pour mourir. Assis est un compromis. On se soustrait à la vie, le temps de rédiger, d'expulser son texte. On n'est pas dans la mort, on n'est plus dans la vie non plus. Écrire, c'est une parenthèse. Et si, au contraire, nous ne vivions que dans ces parenthèses?
Car où est la marge entre réalité et fiction? Le choix détruit le réel, choix de ce qui va être exposé ou pas et choix des mots pour le rendre. Avec la première phrase commence le mensonge. Changer un adjectif dans une phrase et c'est la phrase suivante qui ne sera plus la même. Vous aurez déjà gauchi votre chemin. La sincérité est un leurre, malgré ce qu'en dit Rousseau. Le portrait que l'on fait de soi est toujours trop chargé ou trop complaisant. Avant de tracer le mot, sans parfois le savoir on regarde le regard des autres et on leur fait plaisir, ou on les choque, mais c'est finalement la même chose.
Alors, arrêter d'écrire? Pourquoi? Est-ce pire que de vivre, est-ce moins vrai? Certains dénigrent la littérature virtuelle que sont les blogs et les relations tout aussi virtuelles, pour la plupart, que l'on y noue. Mais quelle différence avec le livre? Quel rapport a le lecteur de Marcel Proust ou de Jules Verne avec l'auteur aujourd'hui? Pour un enfant, j'en ai fais souvent l'expérience, un auteur est un homme forcément mort. Parce qu'il est inconcevable pour lui d'imaginer une rencontre avec un être de chair et que, sûrement, il préfère s'en créer sa propre image, plus féconde en rêveries. Le rapport à la littérature ne peut être que virtuel, ce qui nie pratiquement toute possibilité de réussir un film tiré de tel ou tel roman. Si le film est réussi, c'est que c'est autre chose, ce n'est plus le roman.
Qui est le vrai? celui qui écrit, celui qu'il présente, celui qui vit, une fois les mots rangés? Qui pourrait le dire pour lui même? Moi, je ne sais pas. Le vrai, est-ce R. qui se relève parfois du clavier pour décontracter l'épaule et replonge aussi pour achever la phrase interrompue? Est-ce ce Calystee qu'il a inventé pour le représenter au pays des soirées et qui a pris silhouette pour vous, pour certains d'entre vous? Est-ce le quinquagénaire blanchissant qui remodèle la vie de son château de sable qu'une lame de fond avait fichu par terre? Est-ce le triste, est-ce le joyeux, le gourmand, le grincheux, le charmeur, le susceptible, le rieur, l'éternel enfant, le vieux qui se voudrait sage? Je ne le sais pas.
Pierre me parlait souvent de la sincérité de l'instant. Il ne s'en servait pas pour se disculper lui-même d'une contradiction trop manifeste, il l'utilisait pour être en accord avec sa bonté naturelle. Il y a des années, l'idée même de cette sincérité de l'instant me révulsait: la sincérité, c'était la sincérité. Elle ne pouvait qu'être une et universelle. Le reste était mensonge ou complaisance.
J'avoue avoir parcouru du chemin depuis et cette idée me plaît parce que c'est elle qui est vraie. Si j'aime tel blogueur parce qu'il me ressemble, parce que je partage ses idées, ses émotions, sa sensibilité, même si je me trompe, s'il me trompe, quelle importance? L'émotion que j'aurai eue à le lire sera-t-elle moins grande? C'est mon émotion, pas la sienne. Si écrire n'est pas naturel, lire l'est encore moins. Alors quoi? Ne plus écrire, ne plus lire. Mais il faudrait ne plus vivre non plus, ne plus regarder, ne plus entendre, ne plus aimer car tout ne serait qu'illusions?
Mais peu à peu, je sens que je m'éloigne de mon sujet. Ce que je voulais dire, c'est que l'acte d'écriture procède du Mystère, un mystère sacré, d'un ordre quasi mystique, qui échappe à notre entendement. J'aime lire, j'aime par dessus tout écrire, avec mes imperfections, avec mes détours, avec mes mensonges. Et la vérité se cache peut-être dans le blanc qui enchâsse les mots...
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8 commentaires:
Je lis vos mots depuis quelques jours, je découvre vos photos (à l'instant), j'aime votre sensibilité qui me rappelle la mienne (comme beaucoup d'autres certainement).
Ma sensibilité ne s'exprime pas en mots hélas (comme j'aimerais écrire !) mais en musique (c'est mon métier)ce qui est bien aussi.
Mais comme vous devez être malheureux dans l'éducation nationale !!
Excusez ma question qui tombera peut-être à côté : n'avez-vous jamais songé à écrire ? Ecrire pour en vivre...Votre plume est tellement belle qu'elle aurait forcément du succès.
"Qui est le vrai ?..." Même sans écrire, je me pose la question - alors écrire en plus ? par-dessus le marché ?
Pif ! Paf ! Bling ! (Nous sommes tous tombés de la chaise.)
Tout ça c'est bien joli , mais seulement 2 positions!!!... chuis déçu!!!
Naaaaannnnnnn! pas la férule!!!!
La musique me semble souvent bien supérieure à la littérature, Discrète. Je lui dois aussi parmi mes meilleurs plaisirs. Non, je ne suis pas malheureux dans l'enseignement. Est-ce que j'en donne l'impression par ce que j'écris?
Tomber et se relever! Ce n'est pas ça, la vie, Patrick?
Mais deux notes peuvent suffire à un virtuose, Piergil! :-))
" Non, je ne suis pas malheureux dans l'enseignement. Est-ce que j'en donne l'impression par ce que j'écris? "
Non, je ne l'ai pas ressenti comme tel. Ma déduction - peut-être attive et erronée" venait simplement de ce que j'imagine de vous depuis le peu de temps que je vous découvre et de la réalité d'une profession qui s'en trouve bien loin !
Une note riche, riche, tellement que je ne sais pas où donner de la tête en la lisant. Tu as abordé à la fois tellement de sujets qui me font réagir, sursauter, me donnent envie de répondre, de glisser une remarque ici et là, que je suis un peu découragé avant même d'essayer de commenter. Ah ! Une conversation à bâtons rompus après lecture ! C'est ça qu'il me faudrait !
Disons, pour faire court, que la position "assise" permet bien d'autres alternatives, et est tout aussi naturelle que les deux autres. Entre vivre et mourir, on dispose d'un temps pour réfléchir et analyser. Heureusement. Et pas forcément en écrivant, non plus. C'est le terme de "compromis" que tu as employé, qui me gêne. Mais la suite de ta note réhabilite, apparemment, le cheminement de l' "homme assis".
Quant à la 'sincérité de l'instant' : ah, que Pierre avait raison, mille fois raison. Ca me paraît tellement évident que je suis étonné qu'on puisse en douter : bien évidemment qu'on possède mille facettes de soi-même, qui se détruisent et se contredisent les unes les autres, tout en étant parfaitement en cohérence au sein de nous. Le paradoxe de la nature humaine. Et, bien sûr que malgré toute la sincérité possible que nous mettons dans nos notes, nous mentons toujours un petit peu, non pas délibérément, mais parce que nos écrits sont le reflet de nous à un instant T. Or, dès qu'on a cliqué pour publier, l'instant U, puis le V, le W et les autres arrivent et se mettent en place, apportant leurs décalages, leurs démentis par rapport à ce que l'on vient d'écrire.
Et que dire du fossé que l'on sent lorsqu'on se relit à plusieurs, jours, plusieurs mois d'intervalle ? Il faut accepter ce paradoxe, ou tout arrêter, et cesser d'écrire.
Ce serait dommage, non ?
Relire, c'est ce que je viens de faire. A cause de toi, Lancelot, qui remonte toujours très en arrière dans mes billets. Mais: 1°) je me retrouve encore dans ce que j'ai écrit (il n'y a pas si longtemps, il est vrai), 2°) ça me fait très plaisir que tu prennes la peine de remonter ainsi.
J'y suis obligé ! Tu as probablement dû remarquer que je ne passe pas tous les jours chez toi (ni chez mes autres amis blogueurs d'ailleurs, par manque évident de temps). Or lorsque j'ouvre ta porte, tu es tellement prolixe que j'ai toujours plein de notes à lire, de nouvelles pièces à visiter. Et, cerise sur le gâteau, (mais par moments ça devient terrible !!!) j'ai souvent envie de mettre mon grain de sel dans les débats que tu suscites ! Alors je laisse toute une kyrielle de commentaires d'un seul coup. Ca fait un peu "fou du village" (ça faisait rire Christophe avec qui j'en parlais l'autre jour) mais je fonctionne ainsi...
Je suis content si ma "folie commentatrice" te fait plaisir. Merci :-)
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