Deux mots sur mon choix musical d'hier, qui peut surprendre. Je l'ai dit, je n'ai pas réfléchi: c'est ce qui m'est venu d'abord que j'ai choisi. En prenant un peu plus de temps, j'aurais sans doute eu une programmation différente.
Les trois voix sont pour moi des incontournables: Maria Callas et Kathleen Ferrier, deux femmes dont je reconnais le timbre aux premières mesures, à la première mesure, à cause du frisson qui me parcourt alors le dos. Leurs voix me transpercent, comme un grand froid, et me font vibrer, tout de suite. Pour Alfred Deller, c'est un choix un peu moins viscéral, un peu plus intellectuel, mathématique comme pour la musique de Bach. J'aime sa voix et aussi son répertoire, seul, avec son fils Mark ou le Deller Consort. Je l'ai entendu la première fois à Paris, dans un luxueux appartement près de Michel-Ange-Molitor. J'avais vingt et quelques années.
C'était la grande époque du Bronx, une boîte homo très chaude de la rue Sainte Anne. L'homme qui m'avait emmené chez lui était anesthésiste, riche, cultivé et sympathique. (Non, ce n'est pas le début d'un roman de la collection Harlequin!). Je me souviens avoir été très impressionné par son goût sûr pour la décoration de son appartement luxueux, et par les draps du grand lit où j'eus l'occasion de passer la nuit et qui me semblèrent être de soie. Le lendemain matin, j'eus droit au petit déjeuner et à la voix de Deller. Je découvrais en même temps ce qu'était un haute-contre, encore aujourd'hui ma voix préférée avec celle d'alto chez les femmes. La nuit avait été suave et cet homme que je n'ai jamais revu venait de me faire le plus beau des cadeaux.
Les chansons qui suivent me tiennent aussi à cœur, chacune pour des raisons différentes (et pourtant très proches finalement).
Jean ferrat: Ma Môme. J'ai toujours aimé Ferrat. Je crois que c'est un des tous premiers disques que la famille a achetés quand nous avons eu un tourne-disques. J'aime les textes qu'ils chantent, de lui ou d'autres, j'aime surtout sa voix, si chaude, si profondément tendre, même lorsqu'il dénonce, lorsqu'il condamne. J'apprécie tout son répertoire, sauf peut-être les chansons de sa période engagée à fond pour Castro et Cuba.
Mais Ma Môme tient une place à part: le monde ouvrier, pauvre, dont je suis issu y est magnifié par une simple chanson d'amour. On ne s'y plaint pas de travailler, on s'y réjouit d'aimer, en secret, sous les toits. Quand j'étais encore maître-auxiliaire (remplaçant) dans le public, la dernière année, je travaillais au fin fond de Décines, à la limite de Mézieux. Habitant dans le centre de Lyon, je traversais la moitié de la ville et toute la banlieue est. Certains matins, nuit et brouillard, froid et verglas, sommeil et cafard. Pour me donner du cœur à l'ouvrage, je chantais à tue-tête Ma Môme dans ma Fiat 127, quand elle avait, enfin, décidé de démarrer. Et puis, dans cette chanson, il y a l'accordéon. Si vous voulez me plomber une journée dès le réveil, faites-moi écouter de l'orgue. Si vous voulez me voir heureux jusqu'au soir, passez-moi de l'accordéon.
C'est beau la vie. Bien sûr, je l'apprécie chantée par Ferrat, mais elle me bouleverse quand c'est Isabelle Aubret qui l'interprète. Encore un souvenir d'enfance. Isabelle Aubret faisait aussi partie des chanteurs de la famille. Oui, de gauche de père en fils, chez nous, même si mon père ne nous a dévoilé ses opinions politiques que très tard, pour ne pas nous influencer.
Elle eut un jour un terrible accident de voiture, où elle faillit perdre la vie et, peu de temps après, elle chantait ces paroles: "Que c'est beau la vie!". C'est elle qui, en grande partie, m'a donné cette volonté de rebondir, de se redresser coûte que coûte après la chute, cette force, malgré les coups durs, les trous noirs, de dire encore et toujours "J'aime la vie." Si je choisis un jour les musiques de mon enterrement, peut-être cette chanson y sera-t-elle. C'est dire!
Mon amour pour Judy Garland et pour la chanson Over the Rainbow vient bien sûr du film Le Magicien d'Oz, un de mes films préférés avec La Nuit du Chasseur. Je le regarde chaque fois avec le même plaisir, et, comme un enfant, je tremble aux aventures de Dorothée, de son chien et de ses trois fidèles compagnons: l'épouvantail, le lion et l'homme qui rouille. Comme un enfant, je suis émerveillé par le pays des fées, par les sortilèges de la méchante sorcière, je pleure quand on doit pleurer, je ris quand il faut rire, je me crispe quand monte l'angoisse, je me retiens de battre des mains. Meilleur public, on ne peut pas. Et puis un jour, en plus, j'ai commencé à comprendre les paroles de la chanson: "Au-delà de l'arc-en-ciel, le ciel est bleu...". Et c'est ce message d'espoir que, comme une prière, je me chante presque chaque matin en partant au travail.
Trois voix donc qui me bercent, qui m'habitent, et trois chansons qui me soutiennent, qui me réjouissent. Ce n'est pas plus compliqué que ça!
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2 commentaires:
J'ai régulièrement été en contact avec Isabelle Aubret, et ça pourrait se reproduire, ne dépend que de moi, et je peux te dire qu'elle est une femme fort sympathique. Je l'aime beaucoup.
Veinard! La prochaine fois que tu la vois, tu m'invites?
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