mercredi 29 octobre 2008

Ainsi soient-ils.

J'avais parlé d'une deuxième lecture captivante de ces jours derniers. Il s'agit de Ainsi soient-ils, de Neil Bartlett (Titre original: Ready to catch him should he fall. 1990)

La quatrième de couverture parle d'une langue hypnotique. La lecture le fut aussi, à coup sûr. Roman baroque, érotique et moral sur le monde homosexuel des années de libération, à l'époque où montrer sa différence était encore dangereux mais où les endroits spécialisés, les ghettos diraient certains aujourd'hui, constituaient un refuge de douceur, de drôlerie et de fraternité.

Le roman évoque la rencontre, dans un bar, Le Bar, que tient un personnage attachant baptisé Madame puis la Mère, de deux hommes, l'un plus âgé et calme, l'autre tout jeune et novice. Ils vont devenir amants, s'aimer, ne plus se quitter, perdre la Mère et retrouver Père, avant que celui-ci ne disparaisse à son tour, sans que l'identité de ces deux-là soit jamais certaine.

On frémit à l'idée de ce que cela pourrait être, au vu des titres de certains chapitres: Fiançailles, Parer la mariée, Lune de miel.... Petit roman provocateur où il est de bon ton de parler au féminin pour évoquer les "folles", scènes torrides ou violentes pour faire bonne mesure, un zeste d'analyse sociologique pour montrer que l'on n'est pas totalement idiot.

Ce roman n'est rien de tout cela. Je ne sais pas ce que pourrait éprouver à sa lecture un hétérosexuel n'ayant de surcroît pas vécu les années soixante-dix. Moi, homo et quinquagénaire, je m'y suis retrouvé: dans la peur des agressions dans des rues peu sûres, dans la chaleur des lieux de drague où, enfin, l'on était sûr d'être avec ses semblables, dans la compétition de soirées pour aguicher le nouveau venu quand il était beau, dans les amours naissantes et pour certaines se confirmant, dans l'installation de l'appartement, dans ce microcosme où nous étions à la fois frères et adversaires.

De plus, le style de Neil Bartlett, présenté par l'éditeur (Actes Sud) comme "l'une des figures les plus respectées et les plus éminentes de la culture gay" au Royaume-Uni, est dense et aéré à la fois, le baroque y côtoie le classique, la folie évocatrice une pensée plus profonde et plus grave. Romantisme et compassion, dit encore la quatrième de couverture, pour une fois dans la vérité. Une belle histoire d'amour, sans apitoiement, à une époque où ces amours-là n'avaient pas encore bonne presse.

... vous devez vous rappeler combien cette époque-là était étrange.
Dangereuse même, en y repensant, bien que je ne me souvienne pas qu'on utilisait ce mot alors. Vous devez vous souvenir que nous vivions dans une ville où, selon les chiffres les plus récents, 63% de la population pensaient que des gens comme nous ne devaient pas exister. (Ces chiffres étaient bien entendu controversés) 72% de la population pensaient que nous ne devions pas exprimer nos sentiments en public, même s'il y avait des désaccords parmi les chercheurs pour savoir si le terme "exprimer" devait se référer à: se tenir la main, échanger des regards, échanger des bagues, laisser tomber sa tête fatiguée sur une épaule moins fatiguée, crier des mots comme "Je t'aime, je t'aime, Mon cœur est une rose!" (entendus une fois, tard dans la nuit, se répercuter dans une station de métro), pratiquer une fellation contre les grilles, ou simplement qu'un homme se tienne sur le seuil en disant: "Au revoir, prends soin de toi, je te vois mardi, donc", tandis que l'autre s'éloigne dans une rue de banlieue déserte (à 8h20 du matin).
82% des gens pensaient que les noms des gens comme nous, ou plutôt des gens "comme ça", ne devaient pas être cités dans les réunions à l'école, surtout celles comprenant des enfants jeunes. 42% ne voulaient pas y penser. 32% ne savaient pas comment ils faisaient quand ils couchaient ensemble, mais auraient aimé y assister, si on avait pu arranger la chose. 51% disaient qu'honnêtement ils préféreraient que ces gens s'évanouissent dans la nature;, qu'ils n'existent tout simplement plus. 27% affirmaient qu'ils auraient frappé eux-mêmes d'un couteau, même des amis, des collègues ou des fils, mais je dois dire quant à moi que je ne crois pas que cette question avait été posée, ou si elle l'avait été, ils avaient fabriqué la réponse, je n'y crois pas, je pense que c'est juste un moyen de vendre des journaux que de faire figurer ce genre de choses dans un article.

(Trad. de Gilbert Cohen-Solal.)

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Quand "Actes sud" avait édité ce livre, en 99, j'en avais lu quelques cinquante pages puis m'étais fatigué à cause du style. Je l'ai très récemment racheté, édité sous la collection "Babel", cette fois-ci. Je verrai bien s'il réussira mieux à me convaincre.

Calyste a dit…

Il faut le lire d'une traite, comme je l'ai fait en vacances, rester dans son atmosphère un peu hallucinée.
Autrement, je ne sais pas si ça marche.