dimanche 17 février 2008

Germania.

Dans mon billet Le Temps venu de vendredi, j'ai dit mon dégoût face à l'annonce purement démagogique de notre Président de la République concernant la "prise en mémoire" par un enfant de CM2 de chaque enfant déporté lors de la seconde guerre mondiale. Je voudrais préciser deux ou trois point afin que ma position apparaisse très clairement, en particulier mes sentiments vis à vis du grand pays voisin de la France qu'est l'Allemagne.

J'aime énormément l'Allemagne, et ce n'était pas du tout gagné au départ. Je suis né sept ans après la fin de la guerre. A l'époque, je trouvais que c'était beaucoup, aujourd'hui, je me rends compte de la brièveté de l'intervalle. Toute mon enfance a donc été imprégnée de récits concernant la résistance, le système D pour se procurer de la nourriture, les caches pour échapper au STO, les bombardements sur les villes (et ces derniers récits ne faisaient pas la part plus belle aux aviateurs anglais ou américains!).

Personne dans ma famille n'ayant eu directement affaire à l'horreur de la déportation (seul un lointain cousin est mort en résistant, fusillé par les allemands), ces récits mettaient surtout en valeur les ruses et la finesse des bons gaulois qui bernaient ces lourds teutons, ces "frisés" pour n'employer que le mot le plus doux parmi ceux à eux destinés. Nous étions, somme toute, plus près de La grande Vadrouille que de La Liste de Schindler.

Pourtant, à cause sans doute d'une trop grande sensibilité, ces histoires ont profondément effrayé le tout petit garçon que j'étais. Ainsi, comme je l'ai dit dans le précédent billet, il m'arrivait assez fréquemment de rêver à des bombardements. Comme je n'en avais jamais vécu en réalité, ces cauchemars étaient alimentés non par la vision de champs de ruines et de villes en feu, mais par le bruit que faisait l'escadrille invisible des avions ennemis. Ce bruit de moteurs, ainsi que celui, plus strident, des sirènes d'alarme, me terrorisait. Chaque premier mercredi du mois, à Lyon, les sirènes se déclenchent pour vérification de leur état de marche. Chaque mercredi, ma première pensée à ce moment-là va aux cauchemars de mon enfance.

La terreur que m'inspirait "l'Allemand" n'a fait que s'accroître quand un brave homme a eu l'idée qui lui a paru bonne, de m'emmener voir Nuit et Brouillard. Le bruit de mes rêves pénibles est devenu visions insoutenables de corps nus et décharnés entassés dans des fosses communes où des pelleteuses les jetaient comme elles l'auraient fait d'animaux atteints de maladie contagieuse.

Il m'a fallu des années pour me libérer de cet effroi. La littérature m'y a aidé, lorsque j'ai rencontré les romantiques allemands, Goethe en particulier, dont Les Souffrances du jeune Werther m'a tellement marqué à ce moment-là. M'y a aidé aussi, alors que je cherchais partout des traces de la véracité de sa courte existence,la découverte d'un livre scolaire d'allemand ayant appartenu à mon père (P1). Si mon père voulait apprendre l'allemand, et si, comme je le pensais, mon père ne pouvait être que foncièrement bon, alors "l'Allemand", lui, par effet de retour, ne pouvait être foncièrement mauvais. ( A aucun moment ne m'est passée par l'esprit l'idée que ce livre avait très certainement été acquis plusieurs années avant le commencement du conflit.)

C'est la musique qui a achevé l'ouvrage accompli. Non seulement l'Allemagne ne fut plus bientôt pour moi ce pays uniquement peuplée d'assassins sanguinaires, mais je me pris d'amour pour cette région d'Europe et la plaignis de devoir ainsi supporter la honte de la scission perpétuelle érigée en réalité quotidienne en même temps que le mur. Je découvris Bach surtout, et tous les autres. Je fis, par des amis communs, la connaissance à Lyon de deux amis allemands, l'un organiste de talent à Stuttgart, l'autre ténor d'aussi grand talent à l'opéra de Karlsruhe. Et ce fut mon premier voyage en territoire ennemi. Lorsque j'ai annoncé à mes parents mon intention de me rendre en Allemagne, mon père (P2), comme à son habitude très respectueux de la liberté d'autrui, n'a rien dit, mais son visage était éloquent. Ma mère, quant à elle, m'a lancé un "Qu'est-ce que tu vas faire là-bas?" sec et glacial. Lorsque, en train, j'ai franchi le Rhin à Kehl, j'ai ressenti un sentiment bizarre, très proche de la panique, au moins de l'inquiétude.

Voilà, le reste, je l'ai dit dans l'autre billet, en particulier mes fréquents voyages avec mes élèves en Alsace et Allemagne, pendant lesquels j'ai (et mes collègues avec moi) toujours tenté de leur inculquer à la fois un devoir de mémoire et une ouverture sur les richesses humaines et culturelles d'un grand peuple frère.

Pour être complet, je dois rajouter que, une fois la retraite arrivée, une de mes toutes premières occupations et sans doute une de mes grandes joies, sera d'apprendre cette belle langue germanique.
Je veux dire aussi que, lorsqu'en novembre 89, les médias ont annoncé la chute du mur de Berlin, d'émotion et de joie j'ai pleuré.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Témoignage émouvant, ce qui est beau c'est que vous avez réhabilité nos voisins européens à travers les arts et la culture.