vendredi 8 février 2008

Excusez-moi.

Ce soir, j'ai du mal à écrire. Tout ce à quoi je pense me semble sans intérêt, déjà dit ou trop mélancolique. Pourtant je ne me sens pas mélancolique.

Disons que, comme un boomerang, certains détails de la vie me renvoient à ces dernières années de souffrance: le courrier d'une amie "intermittente" de Pierre, à qui j'ai tout de même répondu pour lui annoncer sa mort (deux ans et demi plus tard!), celui d'un cabinet de géomètres concernant les propriétés de sa famille dans le Chablais (pourquoi cela arrive-t-il toujours à mon adresse?), que j'ai fait suivre immédiatement à sa soeur, le fait de faire suivre ce courrier, qui me coûte beaucoup car risquant de renouer des liens que je ne veux pas renouer, le téléphone de son frère, ce soir, qui me fait énormément plaisir mais qui me replonge aussitôt deux années en arrière, dans la chaleur étouffante d'une chambre de clinique lyonnaise, l'apparition, tout à l'heure devant mon vélo'v, d'une ancienne connaissance de Genève, liée à cette famille et que je n'ai pas revue depuis l'enterrement de Pierre, alors que nous habitons à peine à cinq cents mètres l'un de l'autre (je ne me suis pas arrêté: à quoi bon?).

Cette page est tournée: je le sais, j'en suis sûr. Ma vie a changé, beaucoup. J'ai l'impression de rajeunir, de revivre, de respirer un autre air, avec, en même temps, une sensation de plénitude, la sensation d'être enfin adulte. Une sensation de liberté. C'est terrible à dire. On pourrait penser que ma relation avec Pierre était asservissante pour moi. Pas du tout: ce qui le fut pour tous les deux, c'est la maladie.

Océania a évoqué pour moi un passage de Pline, à l'intérieur d'un texte de J-B Pontalis, où une jeune fille, avant le départ de l'être aimé pour la guerre, allume une chandelle et trace au charbon sur le mur le pofil projeté de son amour. Ainsi gardera-t-elle pour longtemps quelque chose de lui. Je crois que j'ai cette trace en moi, profondément, mais que tout ce qui me la rappelle à l'extérieur ne m'intéresse plus. C'est mon bien, et moi seul ai le droit de la convoquer, de la caresser et de la faire disparaître quand bon me semble. Je suis le seul à prendre les décisions de mon existence. C'est angoissant mais enivrant. Et ma décision, c'est de vivre, comme je vis aujourd'hui, avec des êtres qui sont apparus dans ma vie, certains occupant une petite place, d'autres devenus essentiels, et qui, peu à peu, impriment aussi leur trace, se frottent à ce que je suis et me façonnent à leur tour à ce qu'ils sont .

Une page est tournée, une autre est en train de se lire. Je ne suis pas mélancolique. D'avoir écrit ce qui précède encore moins. Peut-être n'est-ce pas très clair, mais ça ne l'est pas pour moi non plus, et les mots, on le sait, sont des oiseaux blessés.

3 commentaires:

Anonyme a dit…

la mort n'y fait rien, il reste toujours en toi comme une blessure qui fait mal parfois

Patrick a dit…

Calyste, j'hésitais à laisser un commentaire sur un texte qui n'en appelle pas.
Pourtant, cette impression de "plénitude" retrouvée, ce passage à une vie nouvelle et l'excitation que cela suscite, c'est bien ce qu'évoque tout ton blog et ce qui le rend si touchant. Même lorsque tu sembles parler d'autre chose.
Je crois que je reviens toujours te lire pour ça, touché précisément par ça.

Calyste a dit…

Merci, Patrick. Ton commentaire me touche beaucoup et me rassure. Je suis en effet un peu grisé parfois par tout ce vent frais arrivant en rafales, mais cette griserie, je la souhaite constructive. Au moment des voeux, j'ai fait pour moi celui de conserver ma capacité d'émerveillement. Pas au point cependant de devenir le "simplet" de la Crèche. Je ne veux pas provoquer artificiellement cet émerveillement, mais être adulte, en somme, avec des yeux d'enfant.
Inutile de préciser qu'écrire ici m'aide beaucoup en ce sens, en tout cas à construire ma plénitude et à l'apprivoiser.