lundi 12 mars 2012

Tête à claques

Pourquoi me revient-il en mémoire ce soir ? Étranges détours de cette matière que l'on dit grise et qui pourtant nous éclaire. En nous aveuglant parfois de ses flashes improbables où nous ne pouvons que revivre le film sans décrypter le scénario à la manière de ces journaux tout-pensants.

Il avait déjà un an de retard en arrivant en sixième. Un gamin long et frêle à qui, d'emblée, l'on n'aurait pas fait confiance. De ces machos frêles qui font oublier leur maigreur par la grosseur de leurs mots. Mais lorsqu'on s'approchait de lui, il redevenait le gosse timide, la tête à claques, pas celles que l'on a envie de lui donner, celles qu'il a déjà reçues. J'ai oublié son nom, je ne l'ai pas oublié lui.

La mère s'arrachait les cheveux. Que va-t-il devenir ? Il n'est bon en rien. Mais elle n'a jamais dit : il est bon à rien. Du doute à en revendre. De la haine (ou de la crainte) pour cette machine à souffrir qui coince les genoux sous des tables déjà trop petites pendant des heures où l'on s'ennuie parce qu'on a toujours cru ne pas comprendre.

Un trimestre comme ça, et moi qui rôde autour comme un chat attendant que la souris lui sourit. Trois mois, ou presque, à guetter que la tête se relève, que l'œil s'éclaire un peu, au détour d'une phrase, d'un mot, comme le mien s'illumina un jour, avant son âge, sur les vastes étendues herbues que j'imaginais longer : le Potomac. Il a fait le chemin et rencontré le mien.

L'année suivante, délégué de classe. Un an après, envoyé au Conseil municipal des jeunes. Je le suivais de loin. Ne pas effaroucher surtout. Garder sa place et voir la fleur grandir. Quelques sourires parfois, au détour d'un couloir, histoire de ne pas oublier que l'on existe encore. Une façon de dire merci. La plus belle pour moi.

Il est parti un jour, en apprentissage. Je savais qu'il reviendrait. Ce sont toujours ceux-là qui reviennent. Trois fois, je n'étais pas là. Il était heureux, m'a-t-on dit, et me demandait chaque fois. Aujourd'hui, il est parti. Compagnon. En Suède ou quelque part dans le nord. Il cuisine là-haut. J'envie ceux qui mangent ce qu'il fait. Je sais qu'un jour, je reverrais cette grande silhouette d'adulte mal fini, encombré par ses jambes et il me sourira encore en prononçant des mots banals qui cacheront mal la tendresse.

Il y a des jours où je ne voudrais pas être autre chose que ce que je suis.

8 commentaires:

laplumequivole a dit…

Eh bien ça valait le coup d'être privés hier pour avoir aujourd'hui une jolie note...d'espoir !

Georges a dit…

je suis certaine que tu es super comme prof. Comme ça m'aurait plu de te faire la gueule planquée derrière mes cheveux :)
Cette note est très chouette, pleine d'espoir effectivement.

Cornus a dit…

Tu voudrais certains jours être autre que ce que tu es. Eh bien visiblement, tu es déjà beaucoup tel que tu es. Certes parfois, on aimerait être plus...

Didier M a dit…

Finalement nos blogs sont en train de se rencontrer. Pour un bout de chemin sur les sentiers qu'on aime.

Jean-Pierre a dit…

"Garder sa place et voir la fleur grandir." : un prof jardinier qui enseigne à s'épanouir..
C'est plutôt réconfortant à une époque où certains candidats à la présidentielle voit l'école comme un compte de résultats..

Calyste a dit…

La Plume: et de joie, parce que je ne m'étais pas tromper!

Georges: j'arrive à faire rire même les plus coriaces!

Cornus: je pensais au domaine professionnel en écrivant cela. Le métier de prof est un des plus exténuants mais aussi un des plus beaux. Enfin, c'est ce que je pense.

Didier: je me demandais d'où m'était venue l'idée de ce billet. Maintenant, je le sais: de chez toi et de ton billet lu tôt le matin. Oui, je crois que nous aurons beaucoup de choses à nous dire la prochaine fois que nous nous rencontrerons.

Jean-Pierre: jardinier, c'est justement un des métiers que j'aurais aimé faire si je n'avais pas été enseignant.
Quant aux idées de certains de nos politiques sur l'école, ça ne me touche que très peu, étant au bord de la quitter. Mais je plains mes jeunes collègues.

Cornus a dit…

Calyste, je viens tout juste de m'apercevoir que j'avais lu de travers ta dernière phrase ce matin et du coup commenté en sens contraire. Cela m'étonnait un peu... Désolé. Je ne peux donc que te dire bravo.

Calyste a dit…

Cornus: il m'avait semblé!