La piste que j'avais suivie dans la soirée disparut bientôt et je continuai, au-delà d'une montée de gazon pelé, de me diriger d'après une suite de bornes de pierres pareilles à celles qui m'avaient guidé à travers le Goulet. Il faisait chaud déjà. J'accrochai ma veste au ballot et marchai en gilet de tricot. Modestine, elle- même tout excitée, partit dans un trottinement cahotant qui faisait valser l'avoine dans les poches de mon paletot. C était bien la première fois que cela arrivait.
La perspective à l'arrière sur le Gévaudan septentrional s'élargissait à chaque pas. A peine un arbre, à peine une maison apparaissaient-ils dans les landes d'un plateau sauvage qui s'étendait au nord, à l'est, à l'ouest, bleu et or dans l'atmosphère lumineuse du matin. Une multitude de petits oiseaux voletaient et gazouillaient autour de la sente. Ils se perchaient sur les fûts de pierre; ils picoraient et se pavanaient dans le gazon et je les vis virevolter par bandes dans l'air bleu et montrer, de temps à autre, des ailes qui brillaient avec éclat, translucides, entre le soleil et moi.
Presque du premier instant de mon ascension, un ample bruit atténué comme une houle lointaine avait empli mes oreilles. Parfois, j'étais tenté de croire au voisinage d'une cascade et parfois à l'impression toute subjective de la profonde quiétude du plateau. Mais, comme je continuais d'avancer le bruit s'accrut et devint semblable au sifflement d'une énorme fontaine à thé. Au même instant des souffles d'air glacial, partis directement du sommet, commencèrent de m'atteindre. A la fin, je compris. Il ventait fort sur l'autre versant de la Lozère et chaque pas que je faisais me rapprochait de l'ouragan.
Quoiqu'il eût été longuement désiré, ce fut tout à fait incidemment enfin que mes yeux aperçurent l'horizon par-delà le sommet. Un pas qui ne semblait d'aucune façon plus décisif que d'autres pas qui l'avaient précédé et "comme le rude Cortez lorsque, de son regard d aigle, il contemplait le Pacifique", je pris possession en mon nom propre d'une nouvelle partie du monde. Car voilà qu'au lieu du rude contrefort herbeux que j'avais si longtemps escaladé, une perspective s'ouvrait dans l'étendue brumeuse du ciel et un pays d'inextricables montagnes bleues s'étendait à mes pieds.
Robert-Louis Stevenson, Voyage avec un âne dans les Cévennes.
mardi 13 mars 2012
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2 commentaires:
Voila un chemin que l'on voudrait bien emprunter, et puis le décrire comme RLS et imaginer que l'on marche à côte de lui.
Didier: un vrai régal que ce livre !
(Je suis tombé sur le site de quelqu'un qui a fait ce circuit. Malheureusement, pas noté l'adresse. Tu dois pouvoir le retrouver si ça te dit.)
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