Prix du Livre Inter 2008, Le Boulevard périphérique m'a tout de suite attiré. D'abord parce que j'en connaissais déjà l'auteur, Henry Bauchau dont j'avais lu par hasard ou presque un autre roman: Œdipe sur la route, paru dans les années quatre-vingt dix. Ce livre m'avait, pour parler honnêtement, à la fois intéressé et repoussé par la difficulté de lecture de certains passages.
Mais il est des livres qui marquent l'esprit et la mémoire même si l'on n'y a pas tout aimé. Œdipe en faisait partie. Ensuite parce que j'ai, depuis, rencontré Pontalis, un autre psychiatre lancé en littérature et dont la lecture ne me déçoit jamais. Enfin parce que je me rends compte que je me dirige de plus en plus vers les frontières ultimes du roman comme genre littéraire.
Le Boulevard périphérique est bien un roman: le narrateur, dont on ne sait s'il s'agit de Bauchau lui-même, se rend chaque jour au chevet de sa belle-fille atteinte d'un cancer en phase avancée. Lors de ses visites à la malade, il se souvient de Stéphane, un ami de jeunesse, qui lui avait appris la confiance en soi par le biais de l'escalade. Cet ami, mort à la fin de la guerre assassiné par un colonel nazi, l'a fortement marqué et il découvre peu à peu que c'était de l'amour dont il s'agissait entre eux. A la fin de la guerre, le narrateur a rencontré cet officier allemand qui lui dira les derniers instants de Stéphane et le lien amoureux dont lui aussi, bien contre son gré, s'était senti prisonnier face à cet être d'exception.
Le narrateur, parvenu aux dernières années de sa vie, s'interroge sur l'impact de la maladie ou de la mort des autres sur soi même, sur l'intensité de la relation entre deux êtres, qu'ils soient amis ou ennemis. Alternance donc de récit et de considérations plus psychologiques écrites sur un mode poétique qui m'a souvent rappelé Pontalis. Parfois un livre nous fait rêver, nous plaît, nous emmène ailleurs. Avec celui-ci, je n'ai pas bougé de moi mais il m'a porté et c'est, malgré son thème, de la tendresse que j'éprouve pour lui une fois sa lecture terminée.
Après la sortie à la porte Maillot, j'ai l'impression d'un repos, presque d'un silence en roulant vers la Défense. Je me redis les bribes d'une chanson:
Dans le mitan du lit la rivière est profonde
Tous les chevaux du roi pourraient y boire ensemble.
Je suis dans le mitan du lit, la rivière qui m'emporte est profonde. Pourquoi ce vers "tous les chevaux du roi" provoque-t-il en moi ce plaisir mêlé de regret? J'ai souvent pensé qu'avec un corps aussi fragile que le mien, je n'aurais pas fait de vieux os dans le monde ancien. Somme toute, je suis un produit de la médecine moderne, un survivant de la Sécurité sociale. J'ai envie de prier, de me redire les Béatitudes et le début de l'hymne de Paul: "Quand je parlerais en langues, celles des hommes et celles des anges, si l'amour me manque, je ne suis qu'un métal qui résonne, une cymbale retentissante." J'entends l'accent originel, celui où la terre, les éléments, la nature elle-même parlent. N'aurai-je été qu'un métal qui résonne, une cymbale même pas retentissante? Un poète encombré par l'action, un homme de prière qui ne prie que lorsqu'il n'a rien de mieux à faire ou quand il souffre? Un naufragé qui ne peut que lancer des bouteilles fêlées à la mer?
lundi 23 novembre 2009
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2 commentaires:
L'histoire ne me branchait pas trop, mais l'extrait que tu cites me donne très envie de le lire.
Il est toujours difficile de conseiller une lecture en fonction de ses propres goûts, surtout en ne te connaissant pas. Laisse-toi guider par ton instinct!
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