J'ai devant les yeux une carte postale que m'ont envoyée une collègue et son mari il y a quelques jours, pendant les vacances de Toussaint. Objet presque anachronique aujourd'hui tant les communications virtuelles se sont développées au déprofit de l'écrit et du papier. Pourtant quel plaisir d'ouvrir sa boîte aux lettres et d'y trouver ce petit rectangle de carton, illustré d'un côté et rempli de pattes de mouches de l'autre! Pas d'enveloppe, c'est celles que je préfère parce que l'on n'a pas à attendre de rentrer chez soi pour voir, pour lire, pour savoir.
Celle-ci vient de Jordanie, de Jérash précisément. Elle représente le forum de cette ville romaine dont je n'avais jamais entendu parler jusqu'à la semaine dernière. Tout le monde connait Petra, bien sûr, son défilé d'un autre monde et ses temples troglodytes, ou le désert des Nabatéens où David Lean tourna Laurence d'Arabie. Mais qui a entendu parlé de Jérash? Et pourtant, c'est sans doute une merveille si l'on en croit la photographie de la carte (et cette impression m'a été confirmée par Hélène, ma collègue, au téléphone).
Le premier plan est chaotique, mélange de troncs de colonnes renversées et de substructures de bâtiments, des temples apparemment. Devant ces ruines inondées de soleil, un immense espace vide de sable ou de terre jaune dont le centre est occupée par une seule colonne surmontée d'un animal ailé qui, de loin, ne peut être identifié: cheval, lion, griffon? Cet espace aride est ceint sur deux côtés par une colonnade elliptique qui s'entrouvre au fond sur une allée rectiligne bordée des mêmes colonnes. Une très grande simplicité et une grâce infinie. Les chapiteaux semblent ioniques. L'ensemble rappelle Saint-Pierre, à Rome, et la colonne du Bernin, mais tellement plus simple, tellement plus dépouillé. Je pense à regardant cette vue à deux mains qui se tendent et vont se rejoindre pour un geste de prière.
Bien sûr, il ne s'agit pas de cela, je ne suis pas en train de faire de la récupération à bon compte. Et pourtant combien de fois, devant des monuments païens, même civils, ai-je ressenti la présence de cette spiritualité diffuse, de cette paix semblant émaner du site visité. En fait, je pense maintenant que ce n'est pas le vestige en lui-même qui provoque un moment de méditation: les bâtisseurs antiques, sans doute, n'en avaient cure, ils construisaient pour la beauté sas doute mais pour la beauté quotidienne, celle qui les accompagnait chaque matin au même titre que les femmes faciles et le vin nouveau.
Ce qui se fraie un chemin en nous au-delà de la pure appréciation esthétique ou technique, ce sont les pierres elles-mêmes qui lui donne naissance, ces pierres aujourd'hui lisses et beiges, sans autre ornement parfois qu'une trace presque invisible de peinture antique (et les aurions-nous aimés, tous ces monuments, si, avec notre âme moderne, nous les avions connus au temps de leur splendeur, couverts de marbre et de couleurs éclatantes et contrastées?). Je me souviens d'une lointaine lecture conseillée par Pierre au moment de notre visite de l'abbaye du Thoronet, dans l'arrière-pays varois. Il avait été séduit, et me le recommandait, par le livre de Fernand Pouillon: Les Pierres sauvages, roman retraçant, par le biais du journal du maître d'œuvre, la vie des moines bâtisseurs au XII° siècle, au moment de l'édification de cette abbaye cistercienne.
Je pense toujours à cet ouvrage quand je découvre un nouveau site de ruines. Je crois que les pierres ont leur langage, qu'elles conservent bien après que l'utilité du bâtiment qu'elles composent a disparu, même lorsque plus personne ne sait quelle avait pu être leur raison de s'assembler. Les pierres continuent à irradier leur chant, comme un cantique de gloire, à la création, à la beauté, à l'humanité, chacun choisissant selon ses croyances personnelles et ce qu'il veut y voir ou y entendre. J'avais ressenti la même sensation au Liban, en découvrant le site de Tyr maritime, face à cette mer Méditerranée que les Romains n'avaient pas tort d'appeler "MARE NOSTRUM".
PS: Ce livre de Pouillon me rappelle aussi Amédé, immanquablement. J'avais émis l'idée de le lui offrir lors de notre visite de l'abbaye de Silvacane, mais je m'étais sans doute senti trop pauvre ce jour-là et en avais reporté l'achat. La mort d'Amédé m'a empêché à tout jamais de concrétiser ce projet. Silvacane est aussi pour moi liée, tout aussi irrévocablement, à Danielle que je connaissais à peine à l'époque mais dont l'humanité m'éclairait déjà. Elle n'a cessé de le faire depuis.
Mon Dieu, que de souvenirs lorsqu'on commence à tirer un fil....
dimanche 8 novembre 2009
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