Oui, je sais: vingt ans, ça se fête. C'est le plus bel âge, paraît-il! Personnellement en accord avec Paul Nizan, j'en doute fortement. Non seulement pour un individu - j'ai eu la chance de rencontrer Pierre à ce moment-là mais je me souviens trop bien de mes doutes, de mon mal être, de tous les complexes et fatuités imbéciles que je me trimballais - mais, de la même façon, pour une ville, un pays, une nation.
Le 9 novembre 1989, j'ai pleuré de joie. A trente-sept ans, je voyais enfin tomber cette balafre honteuse au milieu de l'Europe. Je me suis soudain senti libre et propre, comme si un vent frais et nouveau venait de me laver des décennies passées, de leur cortège de révoltes matées violemment, de leur mensonge organisé et des tensions incessantes entre les deux blocs. Je n'ai pas attendu pour me rendre à l'est, Tchécoslovaquie et Hongrie. A Prague, les gens dansaient dans la rue, ils n'avaient rien mais je n'ai jamais vu personne d'aussi heureux. Deux ans plus tard, les visages s'étaient déjà fermés en même temps que les prix s'étaient envolés.
Ces derniers jours, à Berlin, il y a eu des manifestations en faveur du retour du communisme. Aurait-on pu imaginer pareil revirement il y a vingt ans? Je savais déjà que tout n'était pas aussi rose dans cette réunification de l'Allemagne que j'avais appelée de tous mes vœux, je pensais pourtant que, les années passant, les différences s'estomperaient en même temps que les nostalgies (d'un bord comme de l'autre).
Toutes les radios de Radio-France sont aujourd'hui à Berlin pour fêter l'événement sur les lieux même de la chute du mur. On est vite saturé de ce déferlement d'interviews, de reportages et de commémorations. Et si l'on peut être agacé par un tel battage, inapproprié à mon goût, (je ne me souviens pas de tant d'agitation pour les dix ans, en 1999, mais il est vrai qu'alors, un autre événement médiatique approchait, qui rejetait dans l'ombre tout le reste: le tournant de l'an 2000), on apprend aussi des choses terrifiantes. Par exemple, si j'ai bien compris, que les fortunes nationales sont tenues à 95% par des allemands de l'ouest et à 5% par des allemands de l'est.
Heureuse réunification qui a permis à quelques-uns d'arrondir considérablement leur portefeuille pendant que d'autres, en proie aux pires difficultés quotidiennes, voyaient s'effriter peu à peu puis s'effondrer totalement le rêve auquel ils avaient eu, comme moi, la naïveté de croire. L'Europe telle que je l'imaginais possible en ce mois de novembre d'il y a vingt ans n'existe pas: les idéaux, les utopies ont laissé la place aux placements lucratifs et au déploiement de toutes les mafias. Aujourd'hui, je ne regarderai pas la télévision, encore moins que d'habitude: je ne veux pas voir ces lieux de Berlin qui m'ont tant fait frémir, d'impatience autant que de joie, se transformer pour un soir en Disneyland grand-guignolesque pour le seul bonheur des nombreuses têtes dirigeantes (à défaut d'être couronnées) présentes ce soir au dépeçage d'une idée merveilleuse.
Si le violoncelle d'un Rostropovitch assis sur sa chaise devant le mur jouait ce soir, ou à la date anniversaire du 11 novembre, gageons que le son de cet instrument me paraîtrait bien triste. Mais sans doute toutes les Suites ne sont-elles pas aussi réussies que celles de Bach!
lundi 9 novembre 2009
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6 commentaires:
Ah je l'aurais volontiers signé ce texte, si j'avais eu ta plume, et un tantinet de courage.
Oui, les allemands de l'est continuent à passer à l'ouest, vers les bureaux de chômage...Et l'extrème droite progresse à l'est, comme une grosse mouche à merde sur le fumier de la pauvreté.
Les nouvelles que j'ai parfois de là-bas ne sont pas réjouissantes.
Je n'ai pas ouvert la radio aujourd'hui. Tout ça me désole.
Oui, je l'ai aussi écrit, le battage médiatique, que l'on subit depuis presque un mois, est absolument épouvantable. A l'époque, j'avais 19 ans, mais je n'avais pas sauté en l'air (c'est mon côté calme peu expansif, qui plus est déjà beaucoup influencé par mon père, généralement réaliste-pessimiste), alors même que je pensais que c'était quand même une sacrée bonne nouvelle. A l'époque déjà, il apparaissait que rien n'aurait pu arriver sans Gorbatchev dont certains sous-estiment encore à mon goût l'impact. Voilà, comme je le disais chez moi, ce que je retiens, c'est l'émotion liée au fait que l'on tournait enfin la page de la Seconde guerre mondiale, qui avait tant fait souffrir les peuples européens. Je ne sais pas comment l'exprimer, mais ce que je trouve beau et qui doit nous enthousiasmer, c'est la paix en Europe de l'ouest, même si beaucoup d'injustices abominables demeurent.
KarregWenn, je viens, malgré tout, de jeter un petit coup d'œil à la télévision: je n'ai pas changé d'avis.
La paix des armes seulement, Cornus. La guerre économique, elle, bat son plein.
J'avais 9 ans et je ne me souviens pas de grand chose si ce n'est les coups de pioche dans le mur à la téloche et mes parents interloqués, quelques vagues souvenirs des JT de la Cinq aussi...
Aujourd'hui, grace au web je découvre les images de cet évènement qui détermina en partie l'Europe d'aujourd'hui, notre présent, notre histoire, nos vies...
Le monopole de Radio France, hier, a abouti à ce que l'on ne pouvait plus entendre, en cette journée anniversaire, la moindre musique sur... France Musique !
Cette commémoration a été transformée en une opération de communication et de récupération laborieusement mise en place par le pouvoir sarkoziste.
-Y- et Dominique: il est dommage, en tout cas, qu'un événement d'une telle importance historique, soit commémoré de façon aussi piètre par un jeu de "couche-dominos", dominos tous plus laids les uns que les autres, apparemment. Une seule personnalité a trouvé grâce, à mes yeux: la chancelière allemande, dont les mots ne sonnaient pas creux et qui paraissait sincèrement émue.
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