lundi 16 novembre 2009

En remontant à la source

Ce soir, j'avais envie de le relire, pour voir. C'est le premier billet de ce blog, publié le 04 octobre 2007. J'avais envie aussi de le publier une nouvelle fois parce que je l'aime encore. Il avait eu un seul commentaire. Celui de J., bien sûr.


Début(s)

Potomac (le) : fleuve des Etats-Unis, qui passe à Washington et se jette dans la baie de Chesapeake; 460 km.
Définition du Petit larousse illustré de 1992, en couleurs. Définition sèche, technique et sans photo.
Pour moi, Potomac, c'est le premier mot, l'alpha de ce qui n'a pas encore connu son oméga..
Il faut s'imaginer le tout début des années 60, une petite école primaire de campagne, fréquentée par des enfants de mineurs et de paysans (la plupart du temps des deux à la fois: il faut bien nourrir sa famille), où l'instituteur certains soirs, à la fin des cours et si nous avions bien travaillé, nous faisait écouter de la musique classique (je me souviens encore de Granada) ou, mieux, nous lisait de longs passages de La Prairie, de James Fenimore Cooper. Et là, dans la salle chaude qui sentait la sueur, l'encre, le bois et la craie, où peu à peu entrait la lumière du couchant (pourquoi toujours m'imaginer que c'était en hiver?), dans cet endroit confiné, coincé entre des prés trop en pente pour éviter l'effort et des crassiers lourds et noirs, dans ce monde destiné à la vie simple et dure des ouvriers, où rien (ou presque) ne m'y prédisposait, j'ai découvert la beauté des mots.
Et le premier fut Potomac. Pourquoi? Je n'en sais rien. Dès que je l'ai entendu, je me suis mis à rêver d'immensités d'herbes hautes violentées par le vent, de fleuves impétueux et écumants, ou vastes et létargiques, de maisons au loin, isolées au sommet d'une colline où la lampe s'allumait, recréant la même intimité que je vivais à cet instant dans la salle de classe. Mes camarades étaient-ils eux aussi perdus dans cette immensité? Y en avait-il un seul dont j'aurais pu saisir la main pour qu'il me guide dans cet univers inconnu mais dont j'apercevais tout à coup la richesse, de la graphie comme des sons. Un seul pour me dire, de la bouche ou du regard:"je te comprends, je suis avec toi, je suis ton frère des mots."? Je ne sais pas. Dans cet univers, seul, je m'y suis enfoncé, j'y ai nagé, j'y ai dormi, gémi, joui, souffert et souri. Le livre est resté mon compagnon de lit le plus fidèle, celui que l'on ne peut s'empêcher de caresser un peu juste avant de s'endormir, même si la journée fut rude. Et le mot est pour moi musique avant que sens, mélodie et non message ( ce qui agace souvent mes amis, obligés de répéter). Et le son ouvre à chaque fois la porte donnant sur ces grands espaces qui m'ont, en un instant et à tout jamais, enivré, lorsque j'ai entendu POTOMAC,un soir d'hiver, dans la bouche de mon maître d'école..
Aujourd'hui, presque cinquante ans après, le pouvoir d'évocation de ce mot est, pour moi, toujours le même. Je n'ai jamais vu le Potomac, et je ne le verrai jamais, car le vrai ne m'intéresse que peu, et le mien est trop profond en moi. Il me suffit de savoir qu'il est là et que je peux, à tout instant, le convoquer: il a toujours répondu. Aussi, lorsque j'ai décidé d'ouvrir ce blog, n'ai-je pas eu à chercher longtemps son titre. Potomac s'est imposé comme une évidence, comme le baptême à la source de tous les mots futurs. Car mots futurs il y aura, j'espère.

8 commentaires:

KarregWenn a dit…

Ravie de lire ce premier texte ! Car plus d'une fois je me suis demandée (mais j'aurais pas osé dire) pourquoi ce nom.
Moi c'était, dans les mêmes âges sans doute, Aldebaran. J'avais un grand-oncle fou des étoiles et il en parlait tout le temps, il me montrait où elles étaient, celles de l'hémisphère nord dans le ciel et les autres sur des cartes bleues dans le dico. Mais c'est celui-là qui me faisait rêver. Je ne sais plus du tout où elle se trouve, mais peu importe.
Pourquoi un mot plus qu'un autre ? Mystère. Magie.

Calyste a dit…

Moi aussi, Aldebaran m'a toujours fait rêver, avant même de savoir que c'était une étoile. En le sachant, j'ai encore plus aimé.

Cornus a dit…

Formidable histoire. Je n'ai rien connu d'équivalent.

Calyste a dit…

Je n'ai jamais oublié ces histoires du soir. J'ai même, des années plus tard, acheté les livres que j'ai trouvés de Cooper.

Lancelot a dit…

J'avais lu ce premier texte, il y a plus de deux ans. je m'en souviens.

"L'alpha de ce qui n'a pas encore connu son omega"

Moi, l'omega, je serais terriblement curieux de le connaître. Pour toi, pour moi, pour les autres. Au moins en matière de blog. Avoir la possibilité de lire la dernière note que nous y écrirons un jour. En général, si je dis ça, on me répond "t'es dingue". Ben oui. Follement dangereux, mais si j'en avais la possibilité, je ne résisterais pas. Trop assoiffé de futur. Je lirais.

Calyste a dit…

On risquerait peut-être de ne pas la comprendre!

karagar a dit…

Comme ma voisine d'ouest je m'étais interrogé sur la raison de ce nom. Je pense partager aussi cette attraction du pouvoir évocateur des noms. A la différence de ce que tu affirmes toutefois, je nourris toujours le rêve de voir ces endroits aux noms envoûtants. Mon petit rêve à moi, le Horn, le Cap Horn !

Calyste a dit…

Moi, je le connais, Horn, mais c'est aux Pays-Bas, au bord du grand polder si je me souviens bien. Le nom vient de là, il me semble.