mardi 24 novembre 2009

Barbara

Elle s'appelle Barbara. C'est le nom de l'aide-soignante embauchée à la clinique dans le service de ma mère. Une jeune femme, vingt-cinq ans peut-être, qui semble encore plus jeune. J'ai essayé de faire retenir ce prénom à ma mère, le rapprochant de Barbe, la patronne des mineurs tant fêtée autrefois dans les environs de Saint-Étienne. Mais peine perdue ce soir: cela ne l'intéressait pas, bien qu'elle aime beaucoup cette jeune femme. Elle m'a dressé un portrait assez juste d'elle: gentille mais exigeante.

C'est précisément ce que l'on ressent quand on la rencontre: une fille solide sur ses jambes, venant sans doute de la ruralité, prête à rendre tous les services mais réclamant qu'on lui obéisse lorsqu'il le faut. Elle fait souvent preuve d'une très grande tendresse envers ces malades difficiles. C'est même cette tendresse immense que j'ai remarqué d'abord, craignant qu'au fil des jours dans ce service, elle n'en vienne à s'émousser et à disparaître tout à fait. Non, la tendresse persiste, par les gestes - une petite caresse sur la joue, une certaine façon de soutenir un corps lorsqu'il défaille, une démarche calme et assurée, rassurante - et par les paroles - douceur de la voix, jamais un mot plus haut que l'autre, des petits noms doux adressés aux unes et aux autres.

Ce qui m'impressionne, c'est sa maturité et son professionnalisme à un si jeune âge. Je ne suis pas loin de l'admirer. Elle présente toujours un visage avenant et ne se plaint jamais, en tout cas je ne l'ai jamais entendu le faire. Depuis qu'elle est là (et qu'une infirmière un peu trop nerveuse est en retraite), l'ambiance s'est beaucoup radoucie dans le service et lorsque c'est elle qui est là le soir, les différents tâches qu'elle a à accomplir sont plus vite terminées qu'auparavant et beaucoup mieux faites.

Avec elle, nous avons adopté un autre modus operandi pour le coucher de ma mère: elle vient plus tôt, en début de tourner pour l'emmener aux toilettes, la mettre en chemise de nuit et l'installer dans son lit, ce qui, souvent, suffit à la calmer (pas ce soir!). Je m'installe ensuite près du lit et, la main dans la main, nous regardons, ma mère et moi, les informations régionales. Puis ont lieu les nombreux gestes un peu incantatoires, les gestes du pré endormissement, toujours les mêmes, faits de la même façon et dans le même ordre: boire un demi-verre d'eau, rapprocher la table de nuit pour que tout soit à portée de main, nettoyer les lunettes, les ranger dans le tiroir du chevet, attendre que le bonbon au suc des Vosges donné un peu auparavant soit complètement fondu (pour éviter les fausses routes), éteindre le plafonnier, allumer la lampe à lumière plus tamisée au-dessus du lit, repréciser qui vient en visite le lendemain, quel jour on est par rapport à hier, par rapport à demain, promettre deux fois au moins de fermer la porte de la chambre en s'en allant, et pour moi, ensuite, regagner la sortie pour aspirer sur le trottoir un grand bol d'un autre air.

Ce soir, en traversant le salon alors que je m'en allais, j'ai vu plusieurs malades (plus que d'habitude) installées pour regarder un instant la télévision. Toutes en chœur m'ont souhaité le bonsoir, comme d'habitude, et au milieu d'elles, enfoncée dans un vieux sofa où elle disparaissait presque, entourée de ces femmes auxquelles je me suis habitué au point de les aimer, joignant sa voix à celles si disparates des malades, il y avait Barbara, sans peur, sans gêne, Barbara au milieu de sa passion, de sa vie, Barbara qui fait tant de bien parce qu'elle est comme elle est. Barbara qui ne pense pas à partir avant l'heure et qui préfère un instant communier avec ces êtres fragiles et blessés. Moi, je dis merci et chapeau.

5 commentaires:

Cornus a dit…

Cette note m'a beaucoup touché parce que tu décris des scènes que je connais un petit peu même si je ne les ai pas toujours vécues de près. Ma mère, infirmière une partie de sa carrière en section médicalisée de maison de retraite, ma grand-mère à l'hôpital pendant des mois avant de partir, ma grand-tante que je n'ai pas voulu aller voir déclinante avant sa mort à l'hôpital.
Et puis il y a cette tendresse avec ta mère. Parce que je vois vieillir mes parents et qu'ils sont loin et que ça me fait peur et parce que de les aime (ils sont encore à peu près en bonne forme, mais cela peut parfois vite basculer).
Et puis cette aide-soignante extraordinaire. On entend tellement dire du mal du personnel soignant que c'est génial de lire ce que tu écris. Ayant moi-même fréquenté l'hôpital, certes peu de temps, je dois dire que je n'avais pas à me plaindre, on avit pris soin de moi au-delà de mes espérances.

Calyste a dit…

Merci, Cornus. C'est vrai que je finis par bien connaître cet univers hospitalier et je t'assure que cette jeune aide-soignante a l'air d'un être exceptionnel.

Kab-Aod a dit…

Il y a des comportements qui s'acquièrent au fil de notre formation de soignant mais l'énergie (la générosité) qu'il faut pour les appliquer, elle, ne s'apprend pas.
Merci de l'avoir remarqué ;)

KarregWenn a dit…

Pour avoir eu l'occasion de faire deux séjours d'une huitaine à l'hosto, dont l'un dans un service où il y avait essentiellement des personnes âgées, je n'ai que des souvenirs de grande gentillesse et de grande patience de la part des infirmiers (ères) ou aide-soignant(e)s. J'ai même beaucoup ri avec certain(e)s. J'admirai. Et d'autant plus que leurs conditions de travail...Je n'en dirais pas autant, et de loin, des toubibs. Lamentable.

Calyste a dit…

Kab-Aod: on n'apprend pas tout à l'école. Bien que prof, j'en suis absolument persuadé. Et heureusement!

KrWn: J'ai connu certains médecins très bien, voire exceptionnels (par ex: le généraliste que nous avions, Pierre et moi, et qui a tant fait pour lui). J'en ai connu d'autres qui étaient de vrais cons, infatués d'eux-mêmes et n'acceptant pas la contradiction (par ex: le pneumologue de Pierre).
Là aussi, c''st un peu comme les profs: ou tout l'un ou tout l'autre, avec un faible pourcentage au centre.