samedi 7 novembre 2009

Baisser les bras

Étrange, cette posture physique qu'adoptent les petits garçons et les vieillards mâles, eux et eux seuls. Jamais je n'ai vu une femme ou un homme dans sa pleine maturité avoir la même.

Ce matin, un vieil homme qui marchait lentement devant moi, profitant d'un rare rayon de soleil pour effectuer sa promenade quotidienne, avait ainsi positionné ses bras: derrière son dos, il avait tendu le gauche vers le bas, le droit replié et enserrant l'autre un peu en dessous du coude. Il marchait lentement, curieux du beau temps et des gens qui passaient, attentif avant tout à ne pas gêner quiconque. J'ai ralenti le pas un instant pour ne pas le doubler et l'observer un moment.

Cette attitude m'est alors apparue comme tellement familière que je me suis senti ému (il faut dire qu'aujourd'hui, un rien suffisait à m'émouvoir). Cet homme, la société actuelle le juge sans doute totalement inutile: il a donné ce qu'il pouvait, on l'a pressé jusqu'à la dernière goutte, peut-être a-t-il aimé son travail, peut-être pas, il vit modestement de sa petite retraite et se sent sans doute lui-même inutile. Son maintien comme je l'ai décrit me le rendait encore plus vulnérable, comme s'il s'excusait d'être encore là, comme si cette façon de mettre les bras dans le dos servait à cacher des mains stériles maintenant.

Les petits garçons ont souvent cette même attitude, lorsqu'ils écoutent attentivement quelqu'un qui les fascine , qui leur raconte une belle histoire (et leur visage rayonne de sérieux et de concentration), ou bien lorsqu'ils sont un peu penauds devant les reproches que leur fait un adulte (visage baissé, fixant les pieds). Là encore, attitude d'excuse et même de soumission. Les chiens ont bien la leur, pourquoi pas les hommes?

Le geste est plus rare chez la petite fille, soit parce qu'elle est pétillante de vitalité, soit parce que sa timidité se manifestera plutôt par le jeu des mains s'entortillant dans les cheveux, soit parce que, déjà, elle testera ses capacités de séduction par des mimiques déjà étudiées qui mettent en scène l'ensemble du corps.

Quant à la femme adulte, je n'en ai personnellement jamais vu aucune prendre cette pose-là. Ancestral héritage d'une constante activité au service de l'homme, activité qui lui demande ses deux mains en avant? Habitude de rendre chaque seconde féconde par tel ou tel geste toujours utile? J'ai l'impression, mais je n'engage que moi, que la femme ne connaît pas ces moments d'abandon, en négatif comme en positif, qu'elle rebondit mieux face à l'adversité ou à l'inattendu, qu'elle baisse moins facilement les bras.

Moi, c'est justement la fragilité de l'homme qui m'émeut.

9 commentaires:

KarregWenn a dit…

Alors là Calyste, tu m'épates. Figure-toi, je me suis levée de ma chaise pour vérifier la position ! Car oui, je me balade parfois ainsi. Quand je me sens particulièrement bien. Marcheuse rapide, il m'arrive de ralentir pour mieux sentir le plaisir d'être dehors, d'avancer dans le soleil, pour laisser les couleurs et les parfums venir à moi. Ça me donne l'impression que mes poumons s'ouvrent mieux. Pour moi c'est presque une attitude de victoire. Finalement, tout le contraire de ce que tu as vu dans ton vieil homme. Drôle, non ?

zeus_antares a dit…

Sans rapport avec l'article et avec un jour de retard: bon anniversaire! Espérant que le temps apporte de l'apaisement suite aux circonstances de l'accident que tu as relaté avant-hier et dont tu es également une victime même sans blessures physiques...

Lancelot a dit…

@ KarregWenn : corollaire : tu es un vieil homme, ou un petit garçon, qui s'ignore. Choisis !

KarregWenn a dit…

Ofet, Sieur Lancelot, ou Sieur Calyste, ça serait un effet de vot' bonté de nous dire où la catégorie non encore citée, les mecs dans la force de l'âge, quoi, y mettent leurs mains, QUAND ILS SE BALADENT, svp.

Cornus a dit…

Bon voilà, comme je le disais chez Lancelot, je me risque à un premier commentaire. Je dois dire que je me suis déjà permis de faire quelques petites incursions ici, mais en silence. Alors j'ose aujourd'hui ramener ma fraise. J'ai lu ici quelques notes fort intéressantes, mais quelques-unes seulement parce que j'y viens peu et parce que le maître des lieux est très prolifique. Et comme j'ai le cerveau lent, j'ai parfois du mal à suivre.

Pour en venir à l'objet de cette note, je dois dire que je n'ai pas forcément fait tout à fait les mêmes constats. Par rapport aux jeunes enfants, j'ai assez peu d'avis, les ayant trop peu observé. En revanche, cette attitude, elle est sans doute plus fréquente chez les hommes, mais pas exclusive et ne concerne pas que des aspects négatifs. J'ai le souvenir d'une telle attitude gaie chez mon directeur d'école (mains croisées dans le dos), triomphante chez mon principal de collège, niaise chez le prof d'EMT au collège, enjouée chez un enseignat de physique nucléaire à l'université. Pour les femmes, j'en ai vu plus d'une se balader ainsi en pleine nature, et il faut me croire, c'était du positif. Et comme elle en parle, je confirme avoir vu de mes yeux KarregWenn avec cette attitude, les cheveux dans le vent, le visage face à l'océan. Je le dis comme je le pense, c'est très beau.

Calyste a dit…

Merci, Zeus, pour ta sympathie.

Pour ce qui concerne mon billet, je ne parlais pas d'aspects négatifs, bien au contraire puisque cette attitude m'émeut chaque fois. J'y vois, pour ma part, comme un moment d'humilité, comme si l'homme (ou la femme bien sûr) intégrait sa faiblesse et sa petitesse quelques instants, quelques instants seulement avant de replonger dans la vanité du monde et son mouvement. Cela ne m'étonne pas que KarregWenn l'adopte à des moments où elle est particulièrement heureuse, particulièrement en communion avec la beauté du monde qui l'entoure.
En revanche, je ne répondrai pas à sa question pour savoir où les mecs dans la force de l'âge mettent leurs mains quand ils se "baladent": ma réponse risquerait de la ..... surprendre.

Cornus, je pense que tes traductions du geste chez les différentes personnes que tu cites dépendent plus de ta façon de les appréhender dans leur généralité, d'aimer ce qu'ils sont ou pas, que du geste lui-même. Je suis en tout cas très heureux de te voir apparaître ici, "à visage découvert"! Je commençais tout de même à être très jaloux de Lancelot! Bienvenue donc. Et sache que je suis entièrement en accord avec ta dernière phrase: c'est très beau.

Lancelot a dit…

La jalousie chez les blogueurs....il y a matière à écrire une note-fleuve, suivie d'innombrables commentaires... Je ne l'écrirai pas.

Calyste a dit…

Lancelot: tu as bien perçu que je plaisantais, bien sûr?....

Lancelot a dit…

Mais bien sûr, banane. Mais ta plaisanterie a suscité en moi cette réflexion, qui, elle, n'était pas une blague.