(Écrit hier soir, dans le train)
19h. Le train descend vers le sud. Déjà Vienne est loin derrière nous. Quelqu'un, dans le compartiment, sent légèrement le tabac mais cette odeur, trop ténue quoique bien réelle, ne me gêne pas ce soir. Le train n'est pas plein. Des policiers, voyageant en première, sont descendus à Vienne. Les hauts dossiers des sièges de ce TER m'empêchent de bien voir ce qui m'entoure.
Seul est bien visible face à moi un grand jeune homme. Quel âge peut-il avoir? Vingt-cinq? Vingt-huit ans? Classique dans son habillement, presque démodé. Un polo à manches longues gris clair rayé de bleu et de gris plus foncé, un jean gris ou qui fut noir et a perdu sa teinture. Seules les chaussures, sans forme, le rattachent à la jeunesse. Tout à l'heure, il lisait un Harry Potter. Il a une alliance à l'annulaire gauche. Tout en lisant, il se triturait un sourcil, un bouton probablement, reste d'acné, qui l'obnubilait inconsciemment. Il porte souvent sa main gauche à sa bouche, comme pour se ronger les ongles mais ne le fait pas. Il n'est pas beau et pourtant je lui trouve quelque chose d'attachant. Sa jeunesse? La fragilité perceptible de sa peau blanche, ses doigts trop longs au bout d'un poignet grêle.
Près de lui, sur le siège à côté, il a posé un grand sac plastic blanc rempli de chemises encore pliées et sous cellophane. Des achats à Lyon. Des soldes. Les coloris sont classiques: rouge sombre, bleu lavande, bleu marine. Rien qui risque de le faire remarquer quand il le portera. Il vient de prendre son téléphone portable et laisse un message que j'entends, bien qu'il parle à voix basse: "Le train a quelques minutes de retard, j'arriverai un peu plus tard. Je t'aime." Seul le prénom, prononcé tout au début, m'a échappé.
Maintenant, il se lève, enfile sa parka noire, se rassoit et pose sur ses genoux un sac à dos Eastpak noir lui aussi. Il va descendre. Ses mains sont sans cesse en activité. Il les porte encore à sa bouche avant de rajouter l'écharpe qu'il tire du sac noir. J'ai envie de sourire en pensant qu'il est loin de se douter que le voyageur à côté de lui, auquel il jette parfois un regard inexpressif, est en train de transcrire dans le détail tous ses gestes à lui. Les mains disparaissent dans des gants noirs. Il s'en va.
Se lève en même temps le passager de devant, que je ne voyais pas: genre baroudeur plutôt dégarni qui m'aurait, bien sûr, excité davantage. Le train s'arrête à Saint-Vallier sur Rhône. Je n'avais pas envie d'écrire. Un mal de tête naissant. Ce jeune homme banal m'a fait sortir feuille et stylo. Par sa banalité, justement. Le train repart. Il n'y a plus rien à dire. Je ne vais tout de même pas parler des sièges vides! Combien de gares reste-t-il avant l'arrivée à Pierrelatte?
jeudi 5 février 2009
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3 commentaires:
La "banalité" décrite avec ce talent acquiert son originalité propre : elle existe enfin.
....et, de fait, j'aurais ADORE la description des sièges vides, dans le même style !
Alors comme ça, tu es plutôt excité par le style "baroudeur dégarni", toi...? Comme c'est intéressant....
Imagine que "le jeune homme banal" tombe par hasard sur ton blog, et lise la note qui lui est consacrée.... Tu vois un peu sa surprise...??
Effectivement, le côté "dégarni" me plaît bien, baroudeur ou pas.
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