mercredi 18 février 2009

L'angoisse.

Comment parler de ce que je ressens souvent, en ce moment-même, sans tomber dans le ridicule? En faire une analyse clinique, froide, objective sans s'y engluer, comme si l'on parlait en général, même pas de quelqu'un de précis, surtout pas de quelqu'un que l'on connaît, surtout pas de soi. Ne pas larmoyer, ne pas s'apitoyer sur soi, simplement essayer de voir nettement les contours de la bête (des bêtes) qui effraie dans le noir.

Ma mère, le soir venu, au moment du coucher, est une boule d'angoisses. Hier, j'étais reposé, je ne l'avais pas vue de quelques jours, je pouvais supporter sa façon d'être, sombrant peu à peu dans l'affolement devant la nuit inévitable. Je lui ai dit que nous étions là, qu'elle n'avait qu'à se reposer sur nous de ce qu'il fallait faire, que nous n'oublions jamais rien du rituel du coucher, qui doit être célébré pour espérer dormir et dont l'accomplissement génère, au contraire, la montée de l'angoisse. Elle m' a dit être malade de ces tourments qui lui viennent malgré elle, qui l'assaillent comme on prend une ville, en attendant son heure. Elle n'en veut pas mais elles sont là, les peurs irraisonnées, les tensions du corps, les crispations de l'esprit. Je lui ai dit de se laisser aller au repos, d'avoir confiance, alors que je sentais monter en moi la même sensation de picotements, l'intime savoir que les mêmes peurs sont aussi en moi.

Des raisons objectives d'angoisse, bien sûr j'en ai. Qui n'en a pas d'ailleurs? La maladie de ma mère, celle de mon frère, les morts passées en digestion, mon attente de la biopsie de vendredi, l'âge qui vient, pas vite bien sûr mais qui vient tout de même. Lorsque je regarde chacun de ces faits isolément, sans faux semblant, il ne me perturbe pas. Je ne les aime pas, mais je les tiens à distance. Ou du moins je le crois, je veux le croire.

Alors l'angoisse prend d'autres chemins, le poison s'insinue par une autre veine. Ce ne sont pas ces maladies, ces morts qui me réveillent la nuit, au milieu d'un rêve, d'un beau rêve la plupart du temps. Elles ne me font pas hurler dans des cauchemars, elles ne me couvrent pas le corps de cette sueur froide comme un linceul. Non. La gueuse, empêchée par mes barrières, celles que j'ai pu, que j'ai dû, comme tous, élever souvent à la va vite mais qui s'avèrent solides, se cache derrière un autre masque, plus doux, moins grimaçant: le travail encore à faire, les listes de choses à ne pas oublier, un mot qui a pu être mal compris, une conduite à avoir plus tard dans la journée. Et elle sait les boursoufler, ces riens qui se dégonflent dès que l'on a les pieds au sol, dès que les volets ouverts laissent entrer la lumière, surtout si le soleil est là.

Ou alors elle s'installe lentement, nous laissant à notre quotidien, sans gêner, prenant simplement minute après minute un peu plus de place. Quand on se rend compte de sa présence, elle est bien campée, elle s'impose, plus question de la déloger. D'où vient-elle? Pourquoi? Comme le chantait Barbara: "Ça ne prévient pas , ça arrive, ça vient de loin, ça s'est traîné de rive en rive, la gueule en coin...". Le lendemain, l'après-midi, avec un sourire, une voix, un regard, une promesse de visite, elle est partie.

Peut-être, après tout, est-ce bien ainsi. Je me souviens de Claude qui, pour l'enterrement de sa mère, s'était coincé la main dans le portail refermé violemment sur ses doigts. La douleur physique qui l'accompagna toute la journée repoussa un peu celle de la perte affective. Angoisser pour de petits motifs, n'est-ce pas une façon de laisser passer un peu de vapeur, de délester la cocotte tout en gardant la possibilité de contrôler le jet sans se brûler?

Je ne sais pas s'il existe des gens sans angoisses. S'il y en a, je ne les envie pas, finalement. Je ne sais pas qui je serais sans ma hotte de peurs et d'ombres sur le dos mais je ne veux pas l'être. Elles m'ont toujours accompagné, fidèles à revenir après l'euphorie, et ce sont elles qui, je le crois, m'ont formé, m'ont durci et affiné à la fois, m'ont fait homme, courbé mais debout.

8 commentaires:

Anonyme a dit…

Courbé pour mieux aimer

Anonyme a dit…

Moi, je te trouve bien !

Anonyme a dit…

J'ai très longtemps ignoré mes angoisses profondes, même si j'ai commencé dans la vie dans la terreur des crises d'asthme. Puis me voici aujourd'hui, comme soudainement, avec un psy, l'alcool, les anxiolytiques, mais surtout ce loup agressif accroché à mes talons. Je déteste cette bombe à retardement !

Anonyme a dit…

ça faisait 5 ans que je guettais l'oiseau qui mène sur le chemin du paradis ...et aujourd'hui je l'ai vu, il a déployé ses ailes!! ( nan, n'ai rien fumer, et ça n'a aucun rapport...quoique...)

Anonyme a dit…

accepter de gérer ses angoisses, c'est peut etre tout un art de vivre ou se servir de ses angoisses pour vivre le mieux possible !

Calyste a dit…

Et pour ne pas perdre de vue mes pieds bien posés sur la terre, Océania!
Merci, Petrus. Quand viens-tu rendre visite à tes deux amis lyonnais?
J'ai plusieurs fois pensé au psy aussi, Kab-Aod, depuis la mort de Pierre. Peut-être y viendrai-je un jour.
Une de tes plantes, Piergil? Je sais la joie de voir apparaître une fleur là où on ne l'attendait plus.
@en passant:Tant que les angoisses ne ressemblent pas au loup agressif dont parle Kab-Aod.

Anonyme a dit…

Je ne sais laquelle des deux angoisses je trouve la pire : la diffuse, celle qui est la somme d'une multitude de petits soucis liés au passé ou à l'avenir, celle qui reste là, impertutbablement présente, comme une rage de dents têtue. Ou bien l'autre, la grosse angoisse qui a un fondement bien net et précis, mais contre lequel on ne peut pas grand-chose de concret. Se battre avec, se colleter jusqu'à en être épuisé, et frustré de la victoire, malgré tout.

Peut-être n'ai-je pas encore assez souffert pour acquérir du détachement face à elles. Ni assez homme, ni suffisamment courbé, et encore trébuchant.

Calyste a dit…

J'en arrive peu à peu à penser qu'essayer de s'en détacher, c'est vouloir s'arracher une partie de soi-même. Veiller à ce qu'elles ne prennent pas toute la place, les cantonner dans leur coin et uniquement là, c'est déjà pas mal.