mardi 17 février 2009

Samedi.

(Samedi 20h)

Nous rentrons à l'instant. Après-midi chargé comme d'habitude quand nous sommes ensemble, Jean-Marc et moi. Ce matin, visite rapide de Pont-Saint-Esprit et marché sur le cours central. L'allée principale est occupée par les étals des "gens du coin", l'autre, en direction du Rhône, est "réservée" aux maghrébins. Cette mise en lieux m'a tout de suite frappée. Pourtant personne ici n'a l'air de la remarquer. En fin de matinée, violentes bourrasques de vent et quelque chose, moitié neige moitié grêle, qui nous cingle. Au bord du Rhône, j'ai du mal à stabiliser mon appareil photos.

L'idée de J-M pour cet après-midi, c'était un petit tour à Nîmes. J'ai toujours préféré cette ville à Avignon: moins factice, moins clinquante, plus installée. Je découvre les ruelles du centre ville que je connaissais pas, coincées à l'intérieur du boulevard circulaire. Comme Avignon, Nîmes compte de nombreux hôtels particuliers intéressants et la façade de sa cathédrale ne l'est pas moins. Face à la Maison Carrée, un bâtiment moderne de métal, de béton et de verre, à l'architecture belle à l'intérieur: le Carré d'Arts, bibliothèque, salles d'exposition, etc. Un détour par la Fnac, bien sûr, où j'achète la dernière aventure sortie en poche de l'inspecteur Montalbano, d'Andrea Camilleri. J-M choisit des DVD de films japonais pour la St Valentin de son chéri. Le vent est frais mais la ville est belle sous le soleil.

En fin d'après-midi, J-M me propose de rentrer par Uzès. Je n'y suis pas retourné depuis quand? Plus de vingt ans, probablement. Je sais que cette visite ne sera pas innocente pour moi. Je le dis à Jean-Marc. J'ai l'impression, ces derniers temps, d'effectuer des pèlerinages sur les traces des années écoulées. J'avais un ami, Paul, juif de père russe et de mère autrichienne, né à Vienne en 1917, balloté dans l'Europe incertaine de ce début de siècle. Il avait écrit quelques romans publiés sous son nom et d'autres, des polars, en collaboration avec un autre. Il était ensuite devenu traducteur d'anglais et d'italien. Lorsque je l'ai connu, lors de l'anniversaire d'un ami commun, il habitait Paris, au bout de l'île Saint-Louis. Les fenêtres de son appartement donnaient sur celles de l'hôtel Lambert, en face. Très vite, une passion partagée pour la littérature nous a rapprochés. J'avais l'ambition d'écrire à cette époque. J'ai d'abord vu en lui une possibilité de tremplin pour rentrer dans ce monde de l'édition. Ensuite il est devenu un ami, un grand ami avec qui j'ai beaucoup communiqué par lettres. Nous aimions tous deux ce moyen d'expression.

Paul a acheté un jour une petite maison à Uzès, au Portalet exactement, tout près de la Promenade racine et de la Tour Fenestrelle. Une maison à trois niveaux, étroite et aux escaliers raides, la cuisine en bas, une chambre et salle de bains au premier et une autre chambre tout en haut. Paul occupait cette dernière, moi celle de l'étage intermédiaire. Je descendais chez lui régulièrement chaque été, au moment des Nuits d'Uzès puis du festival de Montpellier. J'aimais ces moments où nous ne cessions de bavarder, d'échanger sur nos lectures, où il me racontait son histoire, ses amours, son amitié avec Sacha Pitoëff, que j'ai eu un jour au téléphone, ou avec Guy Tréjean. Il ne cherchait pas à m'éblouir, car Paul a toujours été quelqu'un de naturellement humble, mais je l'étais tout de même. L'âge venant, il a fini par revendre cette maison trop malcommode avec ses étages et ses escaliers et n'a plus quitté Paris. Il me priait souvent de venir le voir. Je ne l'ai pas fait souvent, je le regrette aujourd'hui.

Tout ça bien sûr m'est passé dans l'esprit ce soir, alors que nous approchions d'Uzès. Nous nous sommes garés au début du Portalet. J'ai revu sa maison, intacte, la même, avec toujours la vigne au-dessus de la fenêtre de la cuisine. L'occupant actuel des lieux s'appelle Molière (par discrétion, je ne donne pas l'orthographe exacte de son nom): beau clin d'œil. Paul aurait aimé cette coïncidence. J'ai emmené J-M sur la promenade, aujourd'hui glaciale sous le Mistral, où j'ai passé des nuits d'été sous un ciel noir et pur, constellé d'étoiles, je lui ai montré le réduit, sous la balustrade, près du lavoir, où logeait un clochard un peu simple d'esprit. J'ai retrouvé le restaurant très chic où Paul m'avait invité, et l'ombre écrasante des tours du Duché, et les rues sombres et désertes.

A un moment, comme je m'y attendais, nous avons débouché sur la Place aux Herbes. Je crois que c'est le plus bel endroit de cette ville, le joyau de cet ensemble architectural unique et homogène. Et tout de suite, j'ai pensé à la librairie que Dominique Hasselmann a lui aussi évoquée dans son blog: le Parefeuille. Existait-elle encore? Désorienté sur la place, je ne la voyais pas. Nous avons fini par la trouver, elle était toujours là, seul commerce encore éclairé. Il s'y préparait une conférence sur Henry Bauchau. J'ai voulu entrer et, quand je l'ai pu, j'ai engagé la conversation avec les libraires. C'étaient bien les mêmes qu'au début, il y a vingt-huit ans. Ils avaient réussi à tenir, à s'imposer dans cette petite ville sans véritable tradition intellectuelle malgré son prestige.

Elle et lui se souvenaient parfaitement de Paul lorsque je l'ai évoqué devant eux. "Il habitait au Portalet, tout près de chez nous." mù'a même précisé le libraire. Je leur ai appris sa mort, il y a trois ans et demi, un mois après Pierre. J'ai acheté un livre. Je crois que j'y tiendrai, à celui-ci. Je suis sorti de la librairie profondément ému. Que ces gens se souviennent encore de Paul m'a fait énormément plaisir. je me suis rendu compte aussi que, sa mort ayant suivi de près celle de Pierre, je l'avais en quelque sorte escamotée, je l'avais reléguée dans un coin, en me disant comme Scarlett O'Hara dans Autant en emporte le vent: je m'en occuperai demain. Je ne m'en suis pas occupé. Un coup de fil à sa nièce à Genève qui devait me faire savoir où seraient déposées ses cendres. Elle ne l'a pas fait. Je ne sais pas si je le lui redemanderai un jour.

Le retour dans la nuit au "château" m'a rasséréné. J'ai pu évoquer cela devant J-M, j'ai pu lui dire mon émotion. Je me sens, d'année en année, plus proche de lui et c'est, il me semble, un sentiment partagé. Tout cela remue mes souvenirs, m'oblige à les reconsidérer. Le panier a été secoué. Il faudra sans doute quelque temps pour que tout reprenne sa place. Une place "innocente".

4 commentaires:

Anonyme a dit…

Intéressant voyage dans les arcanes du passé...

Mais pour ma part, j'ai souvent été déçue de retourner sur les traces du passé, je n'y retrouve pas toujours mes marques. Question de tempérament peut-être... ?

Calyste a dit…

J'exorcise!

Anonyme a dit…

Les arcanes du passé ne peuvent-ils rejoindre de temps en temps l'instant présent....?
Tu as été à Nîmes... A NIMES...!!! A une trentaine de km de Montpellier, et je n'en ai rien su.....?
(bruit d'assiettes fracassées, encore et toujours... tout le service va finir par y passer...)

Calyste a dit…

J'y ai pensé, mais manque de temps: ces amis-là m'attendaient chez eux depuis deux ans. Je ne pouvais pas leur faire le coup du courant d'air (surtout avec ce mistral!).
Mais je viendrai à Montpellier, promis juré!