(Vendredi 16h)
Je sors de la tiédeur de la couette. Il est 16h. J'ai, avant, profité du soleil pour une balade aux environs, à prendre des photos, à se sentir en vacances. Face à moi, au-delà de la plaine rayée par la ligne TGV, la citadelle de Mornas, étagée sur la crête de sa falaise, et, en fond, le sommet enneigé du Ventoux. Je suis bien.
Je suis seul. Jean-Marc, après un déjeuner en commun à Pont-Saint-Esprit, dans un très bon petit restaurant, où l'on vous sert de façon stylée même un plat du jour, m'a montré le chemin du "château", m'y a installé et est reparti à son travail. J'écris sur la table de la grande pièce, près de nos deux tasses à café que je n'ai pas encore lavées.
Maintenant, j'ai besoin de références pour me sentir bien en vacances: la nouveauté doit s'intégrer dans du connu et reconnu de mes souvenirs. Ce séjour ici n'est pas anodin, je l'ai découvert en bavardant avec Jean-marc. Je me prépare au deuil d'Amédé. Comme si, à partir d'un texte ancien, j'écrivais des mots nouveaux, sur une nouvelle page, au dos de celle qui vient de se tourner et que ces mots, pat transparence, collent aux autres, semblables dans la trame et différents dans l'écho.
Ce matin, j'ai descendu la N86. Je crois qu'elle s'appelle maintenant D386, cette route que j'aime tant, où je me sens chez moi dans chaque ville traversée, sans pour autant m'y être arrêté beaucoup. Route des roses trémières, des fruits à vendre au bord des maisons et des coteaux arides plantés de vignes: Chapoutier, Hermitage, Côte-Rôtie... Vieilles maisons basses aux tuiles romaines, alignées dans leur humilité au bord du fleuve qui, parfois, ne les baigne même plus. Route des ruines de châteaux accrochés aux contreforts de l'Ardèche, route un instant enlaidie des centrales et du ciment, route inondable, vivante comme ne l'est pas la 7.
A Champagne, quelques photos de la vieille église aux belles sculptures en bas-reliefs sur la façade et les murs latéraux. A Saint-Désirat, nous achetions parfois du vin à la cave, avec Pierre. Du Saint-Joseph, à une époque où il n'était pas encore aussi prisé. A Vion, souvenir d'une journée au camping, avec Bernadette et Jean-Paul qui passaient toutes leurs vacances au même endroit. A Tournon, au bord du Rhône, le camping où j'ai dormi avec Amédé et la vallée du Doux où nous étions allés nous promener.
Après Tournon, je sors de chez moi, le sud s'ouvre. Quand ai-je emprunté cette route pour la dernière fois? J'allais chaque été à Uzès, chez Paul, qui y avait acheté un petit bout de maison tout en hauteur, une pièce par étage sur trois niveaux, coincée dans les anciens murs d'enceinte. L'endroit s'appelle Le Portalet, il me semble. La Promenade Racine dans l'obscurité propice. "Et nous avions des nuits plus belles que vos jours." L'alexandrin se vérifia, quelquefois.
Contraste du soleil radieux de ce matin avec la neige de la nuit chez Kikou. Nous ne sommes pas sortis nous promener, elle et moi. Il faisait trop froid. J'ai aperçu un instant le sommet du Pilat avant que la brume ne l'enveloppe. Même dans la vallée, la neige s'accrochait à la végétation. Nous avons beaucoup parlé, comme d'habitude. Georges a voulu que je lui raconte Pierre, sa maladie. Dire que certains considèrent cet homme comme un ours! Kikou était heureuse d'une bonne nouvelle: pas de métastases décelées au dernier examen. Elle appréhendait tellement le contraire. Nous avons fait une partie de dames chinoises, une seule. Elle est fatiguée. Maintenant, lorsque je dors chez elle, j'apporte mes draps, pour lui éviter de la lessive. C'est Georges qui s'est mis à faire la cuisine. Comme moi. Nous en rions parfois.
Cette maison a abrité autrefois de grandes fêtes nocturnes, j'y avais parlé de "l'heure bleue" avec F-J, conversation à laquelle, bizarrement, sont liées pour moi les autruches. Quel rapport? Pourquoi cette association d'idées? Nous étions nombreux alors à rire, à boire, à danser jusqu'à l'aube. La plupart rentraient ensuite à Lyon, quelques-uns couchaient sur place. La dernière de ces fêtes, c'était pour mes cinquante ans. Nous venions d'apprendre le cancer de Pierre. Je ne voulais pas de cette soirée. J'ai fini par céder à Kikou en imposant de sélectionner moi-même les invités, que des gens que j'aimais profondément, pas de politesse. Nous étions vingt. Soirée de douceur et de tendresse, moment rare de grâce où tout s'écoule sereinement, où tous sont heureux d'être ensemble. Ce fut la dernière fête pour Pierre. Aujourd'hui, Kikou ne reçoit qu'en tout petit nombre, en sélectionnant elle aussi. Je fais partie des rescapés, je sais que j'en ferai toujours partie pour elle.
Nous nous sommes couchés de bonne heure. J'ai dormi puis lu. Beaucoup de rêves, dont deux échardes surnagent. Je devais, dans l'un, traverser un pont en voiture. Au bout de ce pont, le garde-fou disparaissait des deux côtés et le milieu de la route était occupé par un petit poteau métallique qui interdisait de passer par là. Je devais longer l'un des deux bords, au risque de plonger dans la rivière. J'ai foncé droit dans le poteau en espérant, sous le choc, ne pas provoquer trop de dégâts à la carrosserie. Dans l'autre rêve, j'étais avec des enfants, de nombreux enfants (même en vacances!), je crois qu'il était question de déguisements. Je tenais un petit garçon par la main et l'ourlet de mon pantalon s'était décousu de telle sorte que je marchais constamment dessus.
Ce matin, quand j'ai quitté Georges et Kikou, la neige n'avait pas encore fondu.
Ici, tout est beau. Comme appeler ce lieu? Le titre officiel en est "château". Il faut imaginer une grosse maison de maîtres qui dut, autrefois, avoir ses heures de gloire avant de péricliter et d'être découpée en différents lots. La partie habitation comporte un rez-de-chaussée inhabité et à l'abandon, de l'extérieur visiblement très endommagé, où, m'a dit Jean-Marc, se trouvaient les parties nobles: pièces de réceptions, salons et bibliothèque. Les deux étages ont été partagés en appartements. Les alentours ne sont guère entretenus, à l'exception de l'ancienne orangerie au jardin à la française orné de massifs de buis taillés, belle construction à l'architecture classique occupée par un ressortissant suisse peu aimable, paraît-il. J'ai profité de son absence, tout à l'heure, pour aller faire quelques photos.
D'un autre côté, une ruine a attiré mon attention immédiatement à mon arrivée. Je ne devrais pas dire ruine, c'est plutôt un bâtiment qui n'a jamais été achevé. Comme j'en faisais la remarque à J-M, il m'a raconté l'histoire de ces pierres: tout le domaine appartenait à l'homme qui réalisa la première ligne de chemin de fer en Éthiopie, depuis Addis Abeba jusqu'à je ne sais où. Cet ingénieur(?) fit la connaissance du Négus dont il devint très rapidement l'un des amis et familiers. Comme Haïlé Sélassié aimait venir ici, en Provence, l'homme eut l'idée de lui construire une maison (un palais!) à côté de son château à lui. A voir ce qu'il en reste, le projet devait être de taille, et le bâtiment terminé aurait sans doute été d'une grande noblesse. Mais jamais le rêve ne concrétisa, je ne sais pas pourquoi, J-M non plus.
Le soleil a disparu depuis un moment ici. Seule la montagne du Ventoux en bénéficie encore. Dans les champs labourés, en contrebas de la fenêtre, quelques traces des pluies torrentielles des dernières semaines. Le Rhône est agité. Mon frère a appelé tout à l'heure. Hospitalisé lundi et mardi, il n'est pas au mieux de sa forme: si les numérations en globules blancs et rouges sont correctes, il ne lui reste en revanche que peu de plaquettes. J'admire son courage à vivre. Il me téléphonait pour m'inviter à déjeuner chez lui dimanche, avec mère et sœur. Comment fait-il? Tant que dureront cette détermination, cette volonté de goûter à la vie, elles l'aideront à tenir. Il le faut.
Il n'y a plus aucun bruit dans le château. En rentrant de la promenade, plus tôt, j'ai rencontré deux jeunes hommes penchés sur leur voiture, à vérifier le niveau d'huile avec la jauge métallique. Ils portaient jeans et sweats à capuchon, comme j'aime, finalement. L'un des deux, en se retournant pour me dire bonjour, m'a ébloui par la fraîcheur de sa beauté: visage de vingt ans, brun, éclairé par les yeux, d'un bleu intense. Autrefois, la beauté me faisait mal, aujourd'hui elle me rassure. Je ne sais pas pourquoi.
lundi 16 février 2009
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6 commentaires:
Uzès, que j'aime tant. sa place aux herbes où habitait un pro de français qui a été un amant quand j'étais lycéen (mais majeur).
Quand j'étais môme, mon plus grand plaisir était de voir le drapeau flottant ou non pour savoir si la duchesse d'alors était présente ou non.
J'ai toujous rêvé d'y acheter une maison.
Je reparlerai d'Uzès, Olivier, aujourd'hui ou plus sûrement demain. C'est aussi une ville qui m'est chère.
Mornas...Mon père disait que c'était mon château. En allant à Lyon ou en y revenant, j'attendais de ve le voir. Aujourd'hui, chaque fois que j'y passe, j'y repense avec nostalgie. J'ai toujours dit qu'un jour je m'y arrêterais...
Il faudra.
Avec Pierre aussi, nous nous imaginions habiter dans un château, plus près de Vienne. Nous ne l'avons jamais visité mais j'y pense chaque fois que je passe dans le coin.
Le Mont-Ventoux, c'est un des repères de mon enfance, situé au-dessus du chalet de vacances de mes parents...
Nous sommes tous là à ressasser les concomitances de nos souvenirs géographiques... J'aime cette idée que la beauté physique puisse rassurer. Une pensée que j'essaierai de méditer lorsqu'il m'arrivera qu'elle me fasse souffrir encore, moi aussi.
Oui, la beauté me rassure, comme croyance en l'éternel, paradoxalement.
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