Sortir du lit, de la chaleur douillette des draps, de l'odeur un peu surette des derniers rêves, et partir au marché, parce qu'on doit acheter des fleurs, parce qu'on veut acheter des fleurs. Aujourd'hui, il y en aura pour tout le monde: mère, sœur, belle-sœur, et du vin pour mon frère qui m'invite à déjeuner, un Saint-Joseph, Jaboulet 2005.
Se retrouver encore un peu endormi dans la rue et penser que tant mieux: le ciel est gris mais il fait doux, doux comme les draps que l'on vient de quitter. On ne regrettera pas trop la fin des vacances. Demain, avec un peu de chance, il pleuvra. Avancer vers la place en croisant deux passants, pas plus, du pain sous le bras et les yeux dans la nuit.
S'enfoncer dans les vieilles ruelles et se dire que, décidément, ce matin, on ne photographiera rien. Et puis tout à coup s'arrêter au milieu du trottoir, frappé par une évidence: quelque chose ne va pas. Regarder autour de soi, sans rien y voir que l'habituel, la synagogue de béton, la baraque du graveur sur verre qui résiste aux promoteurs, la boulangerie industrielle au décor de laverie automatique, les tags sur le garage Renault et le feu qui, au fond, passe au rouge.
Rester une seconde, hébété, stupide sans doute dans son aspect. Une seule seconde d'arrêt sur image, le temps que le cerveau décrypte, compare, déduise. Et l'évidence éclate, lumineuse, rassurante. On revient dans le monde. On a compris. Le silence. Le silence de quelques secondes à peine, sans voitures, sans passants, sans volets, sans musique, sans même un souffle de vent, un oiseau. Un silence du fond des forêts, là où il effraie dans la pénombre, où l'on frisonne parce qu'il vous caresse. Il y a eu trois secondes de silence absolu dans cette rue.
Puis la première voiture est apparue, au coin de la rue suivante, une fenêtre ouverte a laissé couler un air des année soixante-dix, un enfant a pleuré derrière les murs de sa chambre, mon pas a de nouveau résonné sur l'asphalte. La ville. Normale. Bruyante. Rassurante. Le film redémarrait. Je venais de vivre un court instant d'éternité.
dimanche 22 février 2009
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8 commentaires:
Hélas, les promotteurs finissent toujours par tenir leurs promesses.
Elles sont deux, dans cette rue, encore debout et anachroniques, avec un arbre et un bout de verdure. Depuis des années, elles résistent, jusqu'à la disparition de leurs occupants, j'espère. Après, bah! après...
On se demande si seule la ville peut produire un tel silence. Parce que à la campagne, la vie bat son plein, bat et rythme sa course.
Bises, J.
Une seule fois à la campagne, j'ai connu ce silence absolu. Je n'ai pas pu dormir!
Bises, R.
Ce genre de silence me transporte dès qu'il survient. Mes oreilles sont devenues exigeantes avec le temps. Tu disais aimer Bach dans une note précédente. Et longtemps je l'ai savouré. Mais une bouffée de silence presque pur me calme profondément.
Il faut beaucoup de temps pour aimer le silence, Kab-Aod. Et alors, c'est ce qu'il y a de plus beau parce que c'est une plénitude. Je pense en écrivant cela aux retraites monastiques.
Tiens ? Moi je l'adore, le silence total. j'en RAFFOLE. Il ne m'a jamais empêché de dormir, bien au contraire. Et cela, du plus loin que je me souvienne...!
Merci, en tout cas, pour nous avoir fait partager ce court instant d'éternité, par écrit. Le silence par les phrases. Un genre littéraire très pointu !
Moi qui suis si bavard!
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