lundi 23 février 2009

La boîte de Pandore

De moi, je n'aime que très peu de photos. Je parle de celles où je figure, pas de celles que je prends. On a beau me dire que je suis photogénique, je n'en crois pas un mot. En tout cas, pour ma part, je ne m'y vois pas beau.

Seules trois d'entre elles ont toujours trouvé grâce à mes yeux: elles ont été prises en Italie, au bord de la mer, près de Lucca. C'était en 1981, alors que j'étais inscrit pour l'été à l'université pour étrangers de Perugia. J'avais rencontré une vague connaissance lyonnaise, un garçon un peu fat et hétéro qui se promenait en DS avec deux filles à son bras, une belge et une australienne. C'est l'australienne qui avait pris ces clichés en noir et blanc. Je trouve que j'y suis vraiment moi, je veux dire tel que je me perçois.

J'ai cherché tout à l'heure ces photos et je ne les ai pas trouvées. Mais la boîte de Pandore était ouverte, le petit meuble où tout cela est rangé et dont je ne tourne pas la clé depuis des années. Sur l'étagère au-dessous des photos, j'ai revu les gros dossiers des lettres que j'ai conservées dans ma vie: des lettres de ma famille, de mes amis et des amants qui ont compté pour moi, ceux qui m'ont accompagné jusqu'à peu. Pourquoi ne pas relire ce soir celles d'Amédé, les plus anciennes? Je pensais en être capable. Et là encore, c'est autre chose qui a abouti dans mes mains. Je n'ai pu arriver jusqu'aux lettres d'Amédé, ce sont celles de Pierre que je me suis bientôt mis à lire. Oh! pas toutes: les premières, les toutes premières, de 1972, il y a trente-sept ans.

La plus ancienne date du 17 octobre. Nous nous étions rencontrés le 13 au soir, dans la nuit de son anniversaire. Je n'avais pas encore vingt ans, il en avait trente et un. Sur l'enveloppe jaunie maintenant, mon adresse dans une cité universitaire lyonnaise. J'avais la chambre A.546. Je ne m'en souvenais pas. Au dos, j'avais écrit (pourquoi?): "Dieu, c'est la place fraîche sur l'oreiller", Cocteau. Sans doute, cette phrase m'avait-elle frappée dans une de mes lectures de l'époque. Aujourd'hui, j'aurais des choses à y rajouter. Mais ce n'est pas le moment.

Un mot assez court, sur une petite feuille de papier, disant la beauté de la rencontre, le désir de la renouveler, citant Aragon pour me parler (déjà) d'amour, pour me dire le trouble et la joie, la tendresse et le désir. Quelques jours plus tard, je le rejoignais en Saône-et-Loire où il travaillait au moment de notre rencontre. Les autres se suivent à des dates très resserrées, de plus en plus amoureuses, de plus en plus longues, de plus en plus merveilleuses.

Car c'est cela que j'ai ressenti en les relisant: une sorte d'émerveillement, plus profond peut-être que celui qui devait m'éblouir en les recevant. Je les vois de l'autre côté: elles étaient au début, j'ai, seul, dépassé la fin, toute notre relation derrière moi, qui les éclaire, mon âge qui fait que je les comprends mieux, que j'y discerne déjà ce qui sera nous, dans notre bonheur et aussi dans nos heures grises.

J'en ai lu plusieurs et puis je me suis arrêté. Je ne voulais conserver ce soir que ces moments de découverte de l'un par l'autre, cette joie qui éclabousse à travers les mots, écrits vite pour qu'ils arrivent bientôt, dans tous les sens de la page, lettres à peine formées où je devine :"je t'aime", tremblé ou s'imposant, griffant le papier comme s'il pouvait parler davantage. Je savais que nous nous étions aimés. Je n'avais plus conscience que nous l'avions fait avec une telle force.

La lecture de ces lettres ne m'a pas fait mal, au contraire. Sur son lit de mort, j'ai dit merci à Pierre. Lire ses lettres me rappelle la chance, l'immense chance que nous avons eue de nous rencontrer, d'accepter de nous aimer et de concevoir cet amour dans l'intelligence et la tendresse.

Il en est une que je vais reproduire ici, une sans enveloppe, sans date, mais ancienne. Ce n'est pas la plus belle, ce n'est pas la plus tendre mais celle-là m'a fait sourire plusieurs fois car nous y sommes tous deux tels que nous étions profondément. Je m'y suis reconnu entre les lignes, tel que je suis encore sur de nombreux points. Je l'ai reconnu lui aussi, ô combien! Que l'on excuse cette impudeur.

Mon très cher R..y,

Samedi 21h. Je ne suis pas encore parti! Je me suis levé à 2h avec une migraine, de la fièvre... Je suis allé en ville acheter des souliers et puis je suis revenu ici pour me reposer. Je partirai tôt demain matin. J'ai le cafard mais je sais qu'avec ces quelques jours en famille, ça ira mieux. Mais tu me manques déjà.
J'ai mis sur ta valise mon appareil photo, si tu voulais prendre des diapos en Italie. Tu peux trouver à Rome des films Kodak 24x36 couleur (diapo) ou film noir et blanc à développer. J'espère que ce séjour romain te fera du bien. La Fête de la Foi, c'est important et tu peux la célébrer comme il te convient, sans que j'y sois pour rien.
Tu feras attention à la cuisine: j'ai repeint le petit meuble.
Grosses bises à Laurent. Quant à toi, tu sais combien je t'aime.

PS1: si tu as le temps, essaie d'aller chez XX, via Anna n°16. Ils sont peut-être à Rome. Tu auras de quoi parler et, qui sait, madame Simone pourrait faire un dessin pour la revue!
Mille bacci e tanti auguri. Buona festa di Pasqua.
Pierino.

PS2: ci-jointe une paire de chaussettes, ça peut te rendre service.

PS3: le réglage de l'appareil photo: tu mets sur AUTO (automatique) et tu n'as qu'à régler la distance au moyen du levier noir sur le côté, et du cache jaune intérieur. Images superposées qui doivent s'annuler.

5 commentaires:

JaHoVil a dit…

Les trois grâces italiennes : un si beau tableau ! Je ne t'imaginais pas dans ce décors.
Bonne idée que de farfouiller dans la boîte.
Ça donne envie d'y aller avec toi.
Bises, J.

Anonyme a dit…

Que nous reste-il à présent ? Relire nos vieux mails ? Enregistrer et conserver les conversations MSN ? Ne plus écrire, ne plus recevoir que des factures ou des offres commerciales nous préparent des réminiscences bien désemparées...

Calyste a dit…

C'est une boîte sans fond, J.

Saurons-nous encore longtemps lire, Christophe?

Anonyme a dit…

Christophe, si l'on excepte le côté doux, triste et romantique qu'il y a à ouvrir de vieux meubles, déplier des lettres jaunies (et qui a un poids très fort, j'en convens), il reste de l'émotion. Vraie et pure. Les boîtes de Pandore, elles se cachent partout. Derrière les écrans aussi. Nos boîtes à nous, et celles des autres.

Calyste, merci, encore et toujours, de nous avoir ouvert, un peu, la tienne, aujourd'hui.

Calyste a dit…

Mais il faut aussi bien vite la refermer car le risque, c'est qu'il n'y ait plus rien rester au fond, si ce n'est l'ennui, peut-être.