Évasion.

Ce soir, je prends le train. Un petit tortillard jusqu'à Pierrelatte. Nuit à Suze la Rousse, chez Claude et Bernard. Et demain, nous descendrons jusqu'à Avignon.

Deux heures de train. J'emporte de quoi écrire. J'aime le train et j'aime écrire. Un plaisir composé donc, auquel se greffe toujours celui des visages à étudier, des vies à imaginer. Une parenthèse dans les habitudes. Demain, je devrais être en classe toute la journée. Je n'y serai pas. Ni à la réunion de midi. J'ai encore du mal à l'imaginer.

Depuis trois ans, je vis beaucoup dans l'instant. Tant qu'il y a eu des étapes avant ce voyage, je n'y ai pas pensé. Je pensais à mes cours, à la nouvelle élève en 5°, au repas avec J., à ma déposition au commissariat après l'accident que j'ai eu. Jamais à ce voyage. Maintenant, il est là. Dans une heure, je serai à la gare. Demain sera plus douloureux. Je sens déjà comme une sorte de fourmillement dans mon corps. La machine commence à se préparer, sans moi, sans passer par le cerveau. Comment peut-on être animal à ce point? Mon corps sait avant ma tête ce qu'il a à faire. Mais peut-être est-ce pour tout le monde pareil?

Il fait une journée étonnamment belle aujourd'hui à Lyon. J'emporte mon appareil photos dans la poche. Il fera nuit lorsque je serai dans le train. J'aurais aimé descendre cette vallée du Rhône au soleil, comme je l'ai fait tant de fois en voiture, pour rejoindre Amédé à Avignon ou André à Marseille. Qui aurais-je près de moi, face à moi dans le wagon? Pas trop laid mais pas trop beau non plus, pour ne pas vivre deux émotions à la fois, ce dont je suis incapable ou alors en abîmant les deux, en ne prenant la peine de n'approfondir ni l'une ni l'autre.

Et comme d'habitude, lorsque je dois faire quelque chose qui me coûte, j'ai maintenant hâte que cela arrive, qu'on y soit enfin. Partir pour la gare, ausculter les visages, les silhouettes, choisir ma place et rouler dans la nuit, voir défiler les lumières fugitives, ne pas regarder mon reflet dans la vitre. Vivre l'instant et ne pas penser à demain. Pas encore.