Il y a une dizaine de jours, j'ai parlé dans le billet "Prof toujours" d'un thème d'écriture pour mes élèves. Piergil m'a pris au mot des commentaires, et vient de me donner sa version de "Une chambre où j'ai couché". Allez lire son beau texte dans les commentaires ici. Alors, j'ai décidé de me prêter aussi au jeu, comme l'a d'ailleurs fait S. ici et bien joliment.
Difficile de choisir parmi ses souvenirs. Pourtant l'une de ces chambres m'est restée gravée en tête depuis de longues années. J'étais "monté" à Paris, comme chaque fois pour voir des amis et m'étourdir dans la vie nocturne de la capitale. A l'époque, le lieu chaud était le Bronx, rue Ste Anne: un bar qui se transformait vite, une fois plein, en immense stuprerie débordant même sur les trottoirs. C'étaient les années avant sida et après soixante-huit. Tout était permis, tout était recommandé. J'avais sans doute moins de trente ans.
Après de nombreuses palpations et frottages de langues vigoureux, je finis par arrêter mon choix sur un petit mec d'à peu près mon âge qui semblait lui aussi fortement intéressé par ma personne. Nous parvînmes tant bien que mal à nous isoler au milieu de la foule et la découverte de nos corps commença. Je remarquai vite une certaine virilité dans ses empoignades, dans sa façon de mener les débats. Je ne suis pas contre un peu de fermeté mais vite il me sembla que le petit macho dépassait les bornes. Il m'avoua d'ailleurs vouloir m'emmener avec lui pour une relation sado-maso à son domicile. Pas d'accord de mon côté. Je n'avais jamais vécu cela et ne tenais pas vraiment à m'embarquer là-dedans.
Devant mon refus, il ne s'éloigna pourtant pas et, après une nouvelle exploration réciproque des zones érogènes, me refit sa demande. Nouveau refus, nouvelle palpation. En fin de compte, il me dit renoncer à ces échanges trop musclés et me demanda de passer la nuit avec lui, sans coups ni heurts. Méfiant d'abord, je finis par céder: il n'était pas très grand, je pourrais me défendre si le besoin s'en présentait et puis ce que j'avais vécu jusque là avec lui m'avait beaucoup plu. Lui aussi semblait vouloir prolonger les échanges.
Nous voilà partis du côté de St Sulpice. Une grand maison bourgeoise, précédée d'une immense grille donnant sur une cour privative. Il me demanda de ne pas trop faire de bruit car son ami dormait à l'étage au-dessus. Intérieur à la fois très bourgeois et bohème, luxueux dans les deux cas, mais de bon goût. Je vis, dans un coin de la pièce où nous nous installâmes, un escalier en colimaçon qui se perdait dans la pénombre: l'ami était juste au-dessus de nos têtes. Un canapé bas accueillit nos ébats, ainsi que l'épais tapis qui recouvrait le sol. Au début un peu tendu, je finis vite par me laisser aller à tout ce que je ressentais face à ce petit mec au corps ferme, à la peau douce, à la bouche experte, mais surtout, surtout, à l'infinie tendresse, en contraste complet avec nos jeux plus brutaux de début de soirée.
La nuit fut blanche. Tantôt au sol, tantôt sur la banquette, l'un sur l'autre, l'un au pied de l'autre, assis, couchés, emmêlés, échangeant des caresses, des baisers, ahanant, soufflant, soupirant, bavardant parfois, entre deux baisers. Il tenait ses promesses, au-delà même. Nos oubliâmes totalement le locataire du dessus. Quand je me décidai à repartir, il me dit d'attendre et revint avec un petit papier plié en quatre. A lire seulement quand je serais dans la rue, au métro, quand je l'aurais quitté. Je savais que nous ne nous reverrions pas.
Dehors, l'aube pointait. Un vent frais nettoyait les rues de Paris, désertes. Je me sentais léger et fourbu, aérien, heureux, reposé, comblé. Je pensais à la chanson de Dutron: Paris s'éveille. Je ne peux jamais encore aujourd'hui l'entendre sans me retrouver ce matin-là dans cette rue de St Sulpice. Je me sentais pur, comme le vent et, comme lui, plein d'odeurs sur mon corps, sur mes mains, sur mes lèvres, les odeurs de cette nuit de sexe.
Parvenu à la bouche de métro, je dépliai le petit papier et le lus. C'est un des plus beaux mots que j'ai reçu dans ma vie. Je l'ai gardé longtemps, au milieu de mes objets, dans un tiroir de mon bureau, et puis, bêtement, un jour, je l'ai jeté. Ce qu'il disait? Rien d'exceptionnel mais quelque chose de grand en même temps. Lorsque j'arrivai dans ma chambre, je me blottis vite sous les draps pour m'envelopper de toute cette saveur avant qu'elle ne s'évapore avec le jour.
Quelque temps plus tard, un écrivain et journaliste parisien homo très connu mourut. La télévision montra sa maison. C'était celle de ma nuit et le petit mec sans doute l'ami de cet homme. J'avais fait l'amour dans la maison de X., un être que j'appréciais beaucoup pour son franc-parler, sa drôlerie et les pas de géant qu'il faisait faire à la "cause homosexuelle" qui en avait bien besoin à l'époque.
Bien sûr, en lançant le sujet d'écriture avec mes élèves, je prenais "couché" au sens de dormi. Si d'autres veulent venir ici évoquer un de ces moments privilégiés, une de ces nuits qu'ils n'ont pas oubliée , ils sont les bienvenus. Mais attention: tenue correcte exigée! A vos plumes?
jeudi 27 novembre 2008
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10 commentaires:
Mais non, je ne rêve pas, ça se confirme : Calystee fait des liens :))
Oui, il a appris à les faire. Il lui faut parfois du temps! :-)).
M'attendais à une nuit classée X .... mais n'ai pas été déçu!
Si j'osais ... (rire et sourires).
Osez, Anna, osez, à la plus grande joie de tous, à la mienne en tous les cas!
Un peu de présence féminine ne nuirait pas ici! Allez, chiche!
Merci pour ce très beau texte, Calyste ; mais qu'est-ce que donc, hein,donc, y avait-il d'écrit sur ce papier ? Ne me dis pas que tu as oublié ! Dis-nous, s'il te plaît !
Très beau texte R, mais curieux comme je suis, j'aimerais tant connaître ce qu'il y avait écris sur ce papier!!!! STP !!!
Et je te rejoins pour inciter Anna à se prêter au jeu ...
Bises, S.
Je crois bien que je vais vous décevoir, Shakti et S., mais je vais garder ces mots du billet pour moi. Rien de bien extraordinaire, ne rêvez pas, mais ...
Bises à tous les deux.
Vous n'avez tous strictement aucune imagination ; ce qu'il y avait d'écrit sur le petit papier, il fallait l'IMAGINER (nouveau thème d'écriture, bien plus palpitant selon moi que la description de l'endroit où l'on a dormi/couché).
Alors , ma version du petit billet :
"Cher R. tu fais divinement l'amour, bien mieux en tout cas que X, écrivain et journaliste parisien homo très connu... pour son franc-parler, sa drôlerie et les pas de géant qu'il fait faire à la "cause homosexuelle" qui en a bien besoin aujourd'hui".
Voilà le style de petit souvenir qu'il fait bon dorloter le soir au fond de sa couette, quand on est seul. On m'a dit un jour la même chose en me comparant à un Prince (enfin il l'était à l'époque, mais plus maintenant...) bien connu. Inscription en lettres d'or sur le CV de l'Ego... Même en sachant que ça ne constitue absolument pas une référence...
Merci pour le compliment, Lancelot. j'espère le mériter! :-))
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