En sortant de la chambre de ma mère, à la clinique, j'emprunte obligatoirement un long couloir surchauffé qui n'en finit pas de tourner et retourner à angle droit avant de venir mourir dans un espace autrefois extérieur, séparation entre deux bâtiments qui a été par la suite couverte d'une verrière.
Cet endroit est à part dans la clinique. L'été, il y fait très chaud, aucun store ne protégeant du soleil. La porte donnant sur l'extérieur est petite et souvent fermée. L'hiver, alors que la nuit tombe tôt, il est fréquemment plongé dans le noir et on fait plus vite de le parcourir presque à tâtons pour gagner la sortie que de chercher l'interrupteur.
Et c'est dans ces moments-là qu'il prend tout son aspect onirique. Un des murs du fond est occupé par des machines distributrices de boissons, l'une chaudes, l'autre froides. Lorsqu'on s'avance dans cet espace, on baigne dans une lumière laiteuse dispensée par ces deux machines qui ajoutent à l'impression d'irréel leur bruit de léger vrombissement, entrecoupé parfois de hoquets. On dirait que seul ce mur, dans tout l'hôpital endormi, veille inlassablement, carrefour des voies menant aux organes essentiels.
La journée aussi, il joue un rôle majeur. Chaque fois que j'y passe, je vois quelqu'un penché sur l'appareil, choisissant sa boisson ou maugréant parce que la machine refuse de rendre la monnaie. Ce sont surtout les jeunes filles anorexiques que j'y croise. Elles ne viennent pas prendre une boisson: à leurs gestes lents et décomposés, on dirait qu'elles se livrent à un rituel sacré, une cérémonie mystique qui les libèrent de leur condition d'hospitalisées. Je le ressens ainsi: ce lieu chaud et laiteusement lumineux, c'est comme un retour à la matrice ou au sein maternel, là où, et seulement là, on peut accepter de se nourrir de ce liquide de la pré-enfance.
Je passe alors furtivement et le plus silencieusement possible car je ne suis pas dans le même univers. D'ailleurs, la plupart du temps, elles ne me remarquent pas. Parfois, j'arrive après la cérémonie, et je n'en vois que la traîne: un long corps décharné qui s'éloigne, concentrant toute sa vie dans le mouvement déséquilibré et fragile des jambes pour avancer et dans la corolle des mains jointes autour du gobelet, pour le protéger de la chute ou pour s'en réchauffer l'âme.
vendredi 14 novembre 2008
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