Je peux de plus en plus difficilement rester enfermé entre quatre murs, que ce soit chez moi ou au travail. Depuis bien longtemps déjà, il est une heure que je ne supporte pas avec un toit sur la tête: c'est celle que l'on appelle bellement d'entre chien et loup, celle où, autrefois, je me transformais de chien tranquille et domestiqué en loup affamé, solitaire, noircissant du pelage en même temps que le ciel, pour assouvir, une fois la nuit venue, mes instincts de prédateur.
Aujourd'hui, c'est toute la journée que je voudrais passer dehors. J'y suis heureux, vraiment. Ce bonheur a été accentué et décuplé par l'amour de la photographie et de la marche au hasard des rues, par la course à pied et l'abonnement aux vélos municipaux. Cet après-midi, alors que je corrigeais une version latine, je regardais constamment le moindre rayon de soleil dehors, en imaginant les effets que cela pouvait produire sur les feuillages, les eaux des fleuves ou le visage des passants. J'ai fini par sortir une demi-heure, prétextant une opération à effectuer à la banque de ma mère.
Je me sens libre ainsi, en phase avec les autres. Ce matin, pendant une pause dans mon emploi du temps, je suis descendu dans le parc du collège pour voir s'il n'y avait rien à photographier, et Aurélien, le jeune surveillant de vingt ans, m'a suivi, pour fumer sa cigarette sous le petit cloître, pensais-je, mais non: pour m'emboîter le pas, me signaler des assemblages intéressants de feuilles au sol, me parler de son père qu'il a l'air de vénérer et qui a mon âge, à un an près. J'aime ce garçon, calme et sans chichis, vrai et sans ombres. Il m'émeut par sa vérité. Il est beau.
Je redécouvre peut-être ainsi mes racines terriennes, même si c'est en ville, et en ville uniquement, que ce plaisir est intense. Je repense aussi avec un grand sourire intérieur à mon père (P2), toujours dehors lui aussi, fuyant parfois les gens pour les fleurs de sa serre ou les légumes de son jardin, ce vieil ours bougon, solitaire et aimant follement les autres, auquel je ressemble plus aujourd'hui, dont je crois avoir hérité davantage que je ne le croyais possible. Et si autrefois, dans mon enfance, il devait me pousser dehors pour que je sorte parfois de mes livres (que j'emportais d'ailleurs, cachés sous le pull-over), j'aimerais maintenant l'entendre me dire :" Viens, suis-moi, allons voir les fleurs. Ramassons les pommes pour la compote de ta mère et les légumes pour la soupe!" et je lui dirais aussi: "Je t'emmène à travers les rues, les chemins et les ponts. Je veux te montrer la fontaine romaine, le marteau de la porte, la beauté du chantier, la colère du fleuve."
Paroles inutiles maintenant qu'il est mort? Non. Je ne sais s'il les entend. Moi, elles m'apaisent.
mercredi 12 novembre 2008
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