Je les regardais tout à l'heure, pendant que l'on couchait ma mère.
Je les connais presque toutes aujourd'hui, sauf quelques nouvelles, venues prendre la place de celles qui sont décédées. Je connais leur nom, leur prénom parfois. Lorsque j'arrive, elles me saluent gentiment, si leur ciel n'est pas trop bas. Certaines sont là depuis des dizaines d'années, toujours assises dans le même fauteuil devant la télévision.
L'une d'entre elles, celle qui tient la main de ma mère quand elle se sent seule, décide de la chaîne à regarder, arrange méticuleusement les chaises après le repas, bien parallèles à la table, et défroisse les nappes d'un revers de bras machinal. Elle s'appelle Yvette. Je n'ai jamais su son nom. Elle était professeur autrefois, comme deux ou trois autres. Elle me récite parfois des poèmes ou des tirades de comédies de Molière. Je l'accompagne dans ses récitations et ça lui fait plaisir.
Une autre a été placée dans un institut plus "dur". Elle s'était jetée du haut de l'escalier. Elle est fille de pasteur ardéchois et n'a que quelques années de plus que moi.
Ma préférée, qui riait tout le temps et promenait son déambulateur au panier rempli de vieux journaux comme le faisait de sa charrette une marchande des quatre saisons, est morte subitement. A la crémation, il n'y avait presque personne. Son fils est venu. Je ne l'ai jamais vu à la clinique.
Une seule est rentrée dans sa famille, où elle est bien, parait-il. Pour combien de temps.
Quand ont-elles basculé, ces femmes, dans leur monde actuel ? Quand la machine s'est-elles détraquée au point de finir là, qu'elles considèrent maintenant comme leur chez soi, au milieu des autres qui sont leur famille ? Pourquoi les rouages se sont-ils grippés ? Ont-elles perdu leur emploi, leur amour, ou tout simplement la tête ?
Alors, en repartant le soir, je les salue encore, sûr de les retrouver le lendemain au même endroit et presque dans la même position, moins sûr d'être plus fort qu'elles.
vendredi 6 septembre 2013
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
3 commentaires:
Quand tu évoques cela, je pense à mes parents. Ils s'en sortent admirablement bien pour l'instant. Mais qu'adviendra-t-il le jour où ils seront amenés à être durablement hospitalisés ? Ils n'ont que moi et je suis à environ 800 km d'eux. Cela m'inquiète régulièrement, d'autant que je n'ai pas choisi d'être loin, bien au contraire.
Cornus > Je comprends tout à fait ton inquiétude, mais grâce au ciel (façon de dire !) il arrive aussi que nos parents ou grands-parents finissent leur vie chez eux et en bonne santé, corps et âme. C'est ton emploi du futur qui me fait sursauter, comme si tu considérais la chose comme une condamnation inéluctable. Elle ne l'est pas !
Cornus : je suis sûr que, le temps venu, s'il vient, tu sauras être présent.
Plume : oui, tu as raison.
Enregistrer un commentaire