Une amie de ma sœur est morte, il y a quelques mois. Dans la cinquantaine. La fille qui partageait sa vie, deux appartements sur le même palier, lui a proposé, avant de se débarrasser de tout, de récupérer deux fauteuils de salon pour ma mère, un peu plus confortables, moins avachis que les siens. Jean-Claude m'accompagnait cet après-midi pour le déménagement. L'immeuble est tout près de mon lieu de travail. Je suis passé un nombre incalculable de fois sous leurs fenêtres, sans le savoir.
Quand nous arrivons, la porte est ouverte. Les voix de trois femmes à l'intérieur. Il fait froid, le chauffage a été coupé. Quelques cartons sur le sol. Le reste de meubles qui partiront la semaine prochaine chez Emmaüs, dont une très grande bibliothèque, vide. Incongru, sur une table, un énorme bouquet de fleurs de soie, aux couleurs voyantes. Dehors, il pleut et la lumière est grise dans la pièce. Une tristesse infinie, malgré l'entrain des trois femmes qui finissaient les rangements. Parce que c'est un univers qu'on défait, que je me sentais violer en y pénétrant. Un univers dont quelques vestiges, vivants encore, témoignent de ce qu'il fut mais qui déjà n'est plus rien que des objets offerts à des mains inconnus. Dans mes narines, l'odeur rance de la vie qui se désagrège.
mercredi 5 décembre 2012
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6 commentaires:
J'ai participé deux fois au déménagement des logements de personnes mortes à peu d'intervalle il y a plus de 20 ans. D'abord ma grand-mère paternelle dont le petit appartement était en location en ville. Cela a dû se faire dans une relative précipitation. On avait donné quelques bricoles, mais récupéré l'essentiel des meubles qui sont partis pour la maison de compagne de mes parents. Tout cela m'était très familier et l'est resté. Deux ans plus tard, déménagement de la maison de mon grand-père paternel biologique, un parfait inconnu (pas que pour moi, pour mon père également). Autant dire que mon père n'était pas enchanté de s'occuper alors que ce "père" l'avait abandonné, mais nous n'avions pas le choix. J'ai récupéré une vieille commode Louis-Philippe que mon père a fait restaurer et deux armoires (dont une pour ma tante), de veilles lettres et autres petits meubles, des cartes postales du début du XXe s. (que j'ai conservées) et des outils de sabotier. Presque tout le reste a été évacué quasiment comme déchets.
Ce n'est que ça et beaucoup plus: l'immatériel, les souvenirs, sont plus importants que les objets.
Et je rajoute - comme un écho ou une réponse à ton billet - cet extrait du Côté de chez Swann (que je viens de récupérer quelques clics plus loin) : "Les lieux que nous avons connus n'appartiennent pas qu'au monde de l'espace où nous les situons pour plus de facilité. Ils n'étaient qu'une mince tranche au milieu d'impressions contiguës qui formaient notre vie d'alors; le souvenir d'une certaine image n'est que le regret d'un certain instant; et les maisons, les routes, les avenues, sont fugitives, hélas, comme les années."
Cornus: il me semble que, lorsqu'il s'agit de personnes âgées, l'impression de quelque chose qui se brise est moins forte, même si l'on tenait à ces personnes.
Jérôme: je suis d'accord avec toi. J'ai voulu retranscrire les sentiments qui m'ont animé en pénétrant dans cet appartement. Et puis, je connaissais très peu cette amie de ma sœur que je n'avais pas vue depuis de très longues années. Donc pas vraiment de souvenirs. Juste ce froid et ce vide.
Merci pour la citation.
Tu as raison, Calyste, ma grand-mère n'était pas toute jeune et mon pseudo grand-père était un inconnu. Il en va tout autrement, pour des personnes plus jeunes, tout comme on a beaucoup de mal à accepter leur disparition.
Cornus: et puis le fait de se dire après coup qu'on aurait pu se connaître davantage.
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