Ce fut Pierre qui me réconcilia avec mon père en même temps qu'il m'ouvrit un peu les yeux sur l'énorme possessivité de ma mère. Le courant passa tout de suite entre ces deux-là. Mon père appréciait la simplicité de Pierre et le fait qu'il s'agisse d'un intellectuel ne le rebuta jamais. J'appris ainsi qu'il s'intéressait à des tas de choses dont j'étais loin de supposer qu'elles lui soient connues. Si je venais seul rendre visite à mes parents, il s'étonnait de son absence, au point même que parfois sa question rituelle "Pierre n'est pas là ?" me rendit jaloux de cette proximité.
Peu à peu, je reconsidérai mon jugement sur cet homme que j'avais jugé plus frustre qu'il n'était en réalité. Cette remise en question de mes certitudes avait été précédé d'un événement qui m'avait troublé au point de me bouleverser. Lorsque l'on enterra Yvon, de retour à la maison, il ne prononça pas un mot, ça n'a jamais été son défaut de trop s'exprimer, mais il me tapota tendrement l'épaule. Tout était dit, dans son langage à lui mais que je sus pour la première fois décrypter.
Plusieurs années plus tard, alors que mes parents avaient l'intention d'acheter une maison de campagne (ce qu'ils ne firent finalement jamais), il m'emmena sur place et me demanda mon avis sur la bâtisse. J'existais, à mes yeux et aux siens. Je crois que ces deux simples faits ont plus contribué à nous rapprocher qu'un long discours ou de trop difficiles explications. Nous étions face à face, non plus comme deux ennemis mais comme deux hommes qui s'aimaient.
J'eus l'occasion de le vérifier au moment de sa maladie. Alors que j'allais lui rendre visite à l'hôpital, il me fit comprendre qu'il n'était pas dupe et qu'il n'attendait rien de son traitement. Il me parla également longuement de lui, évoquant quelques souvenirs d'enfance et, sous l'effet des médicaments, me prenant parfois pour son frère. Il me parla aussi de sa vie avec ma mère, qu'il chérissait mais qui l'étouffait. La nuit où il mourut, j'étais seul avec lui. Je continue à considérer que ce n'était pas un hasard. Il était la première personne que je voyais s'en aller et j'assistai calmement à ses derniers instants. Ce souvenir ne me traumatise pas, comme l'a fait celui de la mort de Pierre pendant longtemps. Je considère au contraire que cette ultime rencontre est un des plus beaux cadeaux que la vie m'ait faite.
J'ai éprouvé le besoin d'écrire ces textes, que certains trouveront sans doute impudiques, après une promenade, seul, un dimanche d'hiver, dans le village de mon enfance. J'ai eu ce jour-là l'impression qu'il m'accompagnait dans mon errance et que, dans la paix retrouvée, je lui devais bien ce témoignage d'amour.
lundi 26 décembre 2011
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7 commentaires:
Ce qu'on appelle impudicité c'est souvent juste ce qu'on est soi-même incapable d'exprimer, non ?
Est-ce que je n'aurais pas royalement inventé un nouveau mot ? Cette impudicité me parait trop latine pour être honnête...
Quand une idée, une émotion doit s'exprimer elle finit toujours par le faire. Et tu n'as pas à t'inquiéter du sentiment d'impudeur que cela peut provoquer. Il est des textes que l'on écrit davantage pour soi que pour les autres. Si le lecteur est touché tant mieux. S'il ne l'est pas ce n'est que son problème! Mais là on est touché!!
Bien entendu, je m'associe aux autres pour confirmer que ce n'est absolument pas impudique. C'est très beau et très touchant.
La Plume: le mot sonne bien. Adopté.
Charlus: pas d'inquiétude, non. Ces textes ont effectivement été écrits essentiellement pour moi.
Jérôme: merci.
Et là aussi mon commentaire a disparu, c'est vraiment pénible, d'autant que je risque de dire encore plus mal ce que j'avais dit hier.
Je disais donc à peu près que j'étais un peu rassuré que vous ayez pu vous retrouver un peu avec ton père (même si le fait que je sois rassuré n'a en soi aucun intérêt). Car bien sûr, tout cela est très émouvant, surtout après les problèmes qui avaient eu lieu avant.
Au sujet du prétendu manque de pudeur, je rejoins compètement La Plume et Charlus. Et ces textes, ce qui est dit est riche d'ensignements à caractère universel (n'ayons pas peur des mots).
Cornus: universel! Comme tu y vas! Mais merci tout de même.
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