Dans un village de la Manche, du nom duquel je ne me veux souvenir, demeurait, il n’y a pas longtemps, un gentilhomme de ceux qui ont lance au râtelier, targe antique, roussin maigre et lévrier bon coureur. Une marmite, avec un peu plus de bœuf que de mouton, un saupiquet la plupart du temps à souper, des œufs et du lard les samedis, des lentilles le vendredi et quelque pigeonneau de surcroît les dimanches, consommaient les trois parts de son bien. Le reste s’employait en une saie de fin drap et en des chausses de velours pour les fêtes, avec ses pantoufles de même, et les jours ouvriers il se parait de son gris de minime des plus fins. Il avait en sa maison une gouvernante qui passait quarante ans, une nièce qui n’en avait pas encore vingt, et un valet bon pour les champs et pour la place, lequel sellait aussi bien le roussin comme il prenait la serpe. L’âge de notre gentilhomme frisait la cinquantaine. Il était de forte complexion, sec de corps et maigre de visage, fort matineux et grand amateur de la chasse.
(Miguel de Cervantes, L’Ingénieux Hidalgo Don Quichotte de la Manche. Trad. de César Oudin (1614), premier traducteur.)
dimanche 25 décembre 2011
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