jeudi 1 décembre 2011

Distraction

Ce devait être en 76 ou 77. Nous habitions un autre appartement avec Pierre dans un de ces immeubles bourgeois lyonnais du début du siècle (XX° bien sûr) sur une avenue qui n'en manque pas. Un très bel immeuble avec fresques murales dans l'escalier, vitraux sur les fenêtres et cheminées dans toutes les pièces qui pouvaient s'ouvrir en enfilade. Mais ce que je préférais dans cet appartement, c'étaient les toilettes. Il fallait traverser la salle de bains pour s'y rendre. C'était un lieu fermé assez vaste qui avait l'immense avantage de posséder une fenêtre donnant sur la cour. Agréable pour aérer, espionner et patienter. Sublime pour lire! Nous y avions entreposé sur une étagère des tas de revues, des bandes dessinées et quelques petits classiques dont, à l'occasion, je relisais une scène, voire un acte en cas de besoin (le mot n'est certes pas très approprié!). Racine, c'est sublime partout!

Un jour, je plongeai la main dans une pile d'anciens Nouvel Obs et en extirpai un que je ne me souvenais pas avoir lu. Les mots croisés de Robert Scipion n'étaient d'ailleurs pas faits. En le feuilletant nonchalamment, je tombai bientôt sur un article qui attira mon attention. On y annonçait la mort de Pablo Neruda. Je lus cette page de A à Z, un peu chagriné par la nouvelle et m'apprêtant à en faire l'annonce à Pierre.

Une fois mes petites affaires terminées (ah! qu'en des termes galants, ces choses-là sont mises!), je fis irruption dans la cuisine où Pierre s'activait au repas et lui fis part de ma macabre découverte, m'attendant à le voir fort attristé comme je l'étais moi-même. Bien au contraire, sa réaction me stupéfia: il se mit à rire, d'un rire éclatant qui, en d'autres circonstances, m'aurait fait plaisir à entendre. Devant ma mine déconfite, il voulut bien m'expliquer le pourquoi de cette hilarité soudaine et, pour moi, incongrue. " Mais cela fait plusieurs années qu'il est mort! En septembre 73 exactement!"

Je suis tout de même allé vérifier la date de parution du magazine. Aucun doute: je venais une nouvelle fois d'être victime de ma distraction habituelle! Mais je ne sais toujours pas comment j'avais pu passer à côté de cette nouvelle en temps voulu. Le pire, c'est qu'aujourd'hui, je suis capable de la même chose. Heureusement, mes toilettes actuelles, plus petites, ne me permettent plus de trop thésauriser!

6 commentaires:

Nicolas Raviere a dit…

J'ai bien aimé cet article, et surtout l'entre parenthèse qui m'a arraché un fou rire ^^

Cornus a dit…

Eh bien parfois je doute si quelqu'un est mort ou vivant (mais je doute, je n'affirme pas). En revanche, Fromfrom m'a fait plusieurs fois le coup d'enterrer des vivants.
Pas de place dans la salle du trône pour ce qui nous concerne.

laplumequivole a dit…

Ah, J'en rêve depuis longtemps, des toilettes sur parquet, avec une grande fenêtre sur cour ou jardin, de la place pour des livres et des plantes vertes, et le summum, des carreaux de couleurs à la fenêtre (orientée plein sud, évidemment. J'avais des amis belges qui avaient ce bonheur, je raffolais de leurs toilettes !
Cornus > Moi aussi je doute souvent. combien de fois ne m'est-il pas arrivé de répondre "ah bon, il n'était pas déjà mort ? " à quelqu'un qui m'annonce le décès d'une célébrité quelconque. C'est d'un plouc ! Mais j'assume.

Calyste a dit…

Nicolas: c'est ça, les lettres! :-)

Cornus: mais quelle sadique, cette Fromfrom!

La Plume: juste avant que je ne déménage, le propriétaire avait fait faire des transformations. Les nouvelles toilettes donnaient dans le hall et l'on avait à peine la place de mettre ses genoux sans toucher la porte.

Cornus a dit…

Laplumequivole> Je pense que je doute moins que toi, mais je pense que je connais beaucoup moins de célébrités que toi.

Calyste> Oui, je confirme que c'est une sadique. La preuve, elle m'a torturé ce matin en voyant mon commentaire.

Calyste a dit…

Cornus: des sadiques comme ça, j'en redemande.