vendredi 16 décembre 2011

Inconnu de père (6)

En 1969 ou 70, nous déménageâmes pour nous installer dans une banlieue populaire de Saint-Étienne. Mes parents reprirent un commerce. Je pense qu'ils ont toujours eu ça dans le sang. Il s'agissait d'une petite succursale d'un grand groupe qui les avait embauchés comme gérants et où, moi-même, j'avais fait mes premières armes en tant que magasinier l'année précédente. Ce changement tombait à point pour moi. La vie à la campagne commençait à me peser et je ne rêvais plus que de voir du monde pour m'épanouir et mieux gérer ma vie "sentimentale".

Nous avions, avant de trouver mieux, un minuscule appartement attenant au magasin, une cuisine au rez-de-chaussée et deux chambres en haut, l'une pour mes parents et mes sœurs, la deuxième pour mon frère et moi. Mon père avait acheté une camionnette avec laquelle il faisait des tournées dans les environs pendant que ma mère tenait la vente. Je fus alors beaucoup mis à contribution pour les aider dans leurs tâches et mes études en pâtirent sans doute un peu. Moi qui avais été un élève brillant, quoique rêveur et porté à la nonchalance si l'on ne me motivait pas, j'obtins le bac de justesse à la première cession. C'est une des clientes de mon père en tournée qui m'apprit combien il était fier de moi.

A ce moment-là, mes rapports avec lui se dégradèrent encore, bien que je ne le voie pas davantage. J'allais avoir dix-huit ans et je me prenais déjà pour un adulte. Je vivais ma sexualité sur un mode débridé qui faillit me coûter cher lorsque je contractai une maladie grave pour l'époque. Comme j'étais mineur, le médecin demanda une entrevue à mon père pour signer le protocole de soins. Bien sûr, il ne dit pas la véritable raison du traitement et mon père fit toujours semblant de croire à ce qu'on lui avait présenté ce jour-là: j'avais officiellement une infection du sang.

Cela me valut plusieurs années de traitement qui me fatiguèrent et ne contribuèrent pas à améliorer l'image que je me faisais de moi. Il y avait toujours aussi en arrière-fond l'éducation judéo-chrétienne que j'avais reçue de ma mère et, si mes frasques me comblaient de désir et de plaisir, elles prenaient, une fois assouvies, un goût bien amer de remords et de dégoût. Quant à mon père, je pris l'habitude de le considérer comme un naïf, un niais à qui l'on pouvait tout faire avaler. Je me rendis compte beaucoup plus tard qu'il n'avait guère été dupe de mes mensonges et que, s'il laissa les choses ainsi, c'est sans doute parce que, contrairement à ma mère, il me considérait déjà comme un être responsable et qu'il avait confiance en moi.

Ces années-là, je vécus enfin mon adolescence. Elle fut d'autant plus fougueuse et irréfléchie qu'elle avait été bridée auparavant. J'accumulais les rencontres d'un jour, d'un moment. Je n'étais jamais rassasié. Je tenais d'ailleurs le compte de mes conquêtes sur une feuille de cahier que je dissimulais adroitement aux yeux de tous, surtout à ceux de mon frère qui n'était pas dupe et soupçonnait que ma vie apparemment rangée n'était qu'une façade. Il tomba un jour, malgré ma prudence, sur une photo d'un de mes amants nu et me menaça de tout révéler si je continuais à l'ennuyer avec mes prérogatives d'aîné de la famille. Cette photo, je la détruisis immédiatement après: elle finit dans les toilettes d'un camping de Lourdes où nous avions pris nos premières véritables vacances en famille. Même en cette occasion, sexualité et religion restaient indissociablement liées!

6 commentaires:

Cornus a dit…

En 1969 ou 70 ? En 70, c'est une meilleure année.
Est-ce au fond un si grand mal que ça de ne pas vivre complètement son adolescence ? Enfin, je m'entends. J'ai l'impression, que depuis quelques décennies, on exacerbe, on monte en épingle le phénomène de l'adolescence qui excuse toutes sortes de débordements et de démissions. On en viendrais presque à se demander si un gamin équilibré qui ne ferait pas sa "crise" de l'adolescence ne serait pas anormal ?
Attention, je ne parle pas de ton cas, que de mon point de vue, on ne peut pas véritablement mettre sur le compte de l'adolescence, mais sur la découverte d'une forme de liberté ou d'une forme de besoin après privation (ou quelque chose dans le genre si je m'exprime mal).

Calyste a dit…

Cornus: pour ma part, je me suis même payé le luxe d'en faire une deuxième, il y a quatre ou cinq ans.

Cornus a dit…

Ah oui, eh bien en ce qui me concerne, c'est la crise permanente. Je suis un vrai gamin depuis que je vis avec Fromfrom.

Calyste a dit…

Cornus: et elle, elle est dans le même état? Je voudrais voir ça!

Cornus a dit…

Elle, elle est pire, 25 fois pire que moi !

Calyste a dit…

Cornus: 25! Mais c'est une véritable classe d'ados à elle toute seule!