Nous forçâmes l'allure, Tobie et Caroline suivant laborieusement en arrière-garde. L'odeur étrange, piquante, provocante croissait à chaque pas. Nous aperçûmes, avec soulagement, la horde au complet assise autour du feu. Toutefois celui-ci pétillait, crépitait, crachotait de façon anormale. Tous les quelques moments une tante ou l'autre se levait, fichait un bâton dans les braises et le ramenait à elle avec, au bout, une masse grésillante.
- Mais ...... c'est du jarret de cheval ! haleta Oswald.
- Et ça une côtelette d'antilope ! dis-je à mon tour.
Nous courûmes les derniers cent mètres, talonnés de près par les autres, et nous fîmes irruption dans le cercle de famille.
Cela fit sensation.
- Bienvenue, les enfants ! s'écria père, passé la première surprise.
- Bienvenue, s'écria mère, et je vis couler des larmes de joie sur son cher visage zébré de suie.
Juste à l'heure pour dîner ! ajouta-t-elle en riant.
Et puis ce furent les exclamations sans fin, les étreintes, les reniflements, les rires, les embrassades, les présentations.
-Maman, mais qu'est ce que tu fais là ? Tu te sers de bonne viande comme de bois à brûler ?
- Mon Dieu, mon rôti ! s'écria mère en se précipitant vers le feu. Complètement oublié, avec ces retrouvailles. Il va être trop cuit ... gémit-elle et, en hâte, elle retira du feu un gros morceau fumant de râble d'antilope. J'en étais sûre, ce côté-là est complètement brûlé, dit-elle en l'examinant. Heureusement qu'Ernest m'a prévenue.
- T'en fais pas, ma chérie, dit père. Tu sais que j'aime le roussi bien croquant. Je prendrai l'extérieur avec plaisir.
Pour moi, tout ce dialogue était du latin.
- Mais enfin, de quoi parlez-vous ? suppliai-je abasourdi.
- De quoi ? Mais de cuisine, tiens !
- Mais qu'est ce que c'est que toute cette cuisine ? m'énervai-je.
- Notre dîner, dit père. Et tout à coup : Oh ! mais j'y pense, c'est vrai que c'est nouveau pour vous, tout ça ! Votre mère ne l'avais pas encore inventé, fils, avant votre départ. Cuisiner, mes enfants, cela veut dire ... eh bien c'est une façon de préparer le gibier avant de le mastiquer. Une méthode entièrement nouvelle pour ... euh !... réduire les muscles et les ligaments dans ... euh !... une forme plus friable, de sorte que ... eh bien ...
Mais cessant de froncer le sourcil, il se mit à sourire gaiement :
- Oh, après tout, pourquoi essayer d'expliquer ? Le mouvement se prouve en mangeant?
Goûtez et voyez vous-mêmes.
(Roy Lewis, Pourquoi j'ai mangé mon père. Ed. Poche Pocket. Trad de Vercors et Rita Barisse.)
mercredi 7 décembre 2011
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