mardi 26 mai 2009

Le conseil de discipline.

Le conseil de discipline est un des moments de la vie scolaire que j'apprécie le moins, non parce qu'il est lieu de conflits et de tensions mais parce qu'il représente un terrible constat d'échec.

Le conflit et la tension ne me gênent pas: il en faut pour faire avancer les choses et une tension bien gérée par exemple peut être extrêmement salutaire dans la mise au point et la réalisation d'un projet. Mais, comme sans doute tout enseignant qui se respecte, je n'aime pas l'échec. Échec dans l'apprentissage de connaissances nouvelles, bien sûr, mais avant tout échec relationnel, quand le pont indispensable de l'un à l'autre s'arrête avant la rive ou n'est qu'un mirage à peine ébauché.

Aujourd'hui, c'est un garçon de cinquième qui était face à ce conseil. Composé de l'élève et de ses parents, du directeur et de la responsable de niveau, d'un nombre représentatif de professeurs de la classe ainsi que d'un parent d'élève, des délégués des élèves de ce même groupe et d'un représentant de l'équipe éducative hors enseignants, il dure en général plus d'une heure et se termine par une décision irrévocable: la mise à pied pour quelques jours, l'exclusion définitive avec sursit ou l'exclusion définitive immédiate. J'ai connu, au long de mes années de métier, tous les cas de figure.

Chacun à tour de rôle présente la situation, les griefs accumulés qui ont provoqué la convocation de ce conseil de discipline, les explications nécessaires et les arguments en faveur ou défaveur de l'élève. Ce matin, avant même que la discussion soit engagée, la mère a attaqué. Je l'ai une première fois contenue en lui demandant de bien vouloir présenter la personne qui l'accompagnait, une femme qui avait tout l'air d'une travailleuse sociale et qui ne manqua pas de l'être. Quand le directeur, en tout bonne foi, dit qu'il n'avait pas connaissance que Matis (appelons l'élève ainsi) était suivi sur ce plan-là et qu'il s'en réjouissait, cette femme qui, à aucun moment n'avait été conviée et n'a même pas décliné son identité complète, a rétorqué qu'en aucun cas, une famille n'était tenue de prévenir l'équipe éducative de cette situation qui ne la concernait qu'elle. Le dialogue était d'ores et déjà déjà bien mal engagé!

Ensuite, ce fut de pire en pire. Chaque remarque d'un professeur était immédiatement suivie par une justification hautaine de la mère ou du fils, façon de se comporter qui sembla surprendre et irriter l'éducatrice elle-même qui, du coup, n'ouvrit pas la bouche de toute la séance. Le plus intéressant fut lorsque, au reproche fait à Matis d'avoir quitté plusieurs fois le collège alors qu'il n'en avait pas le droit, en particulier au moment de la cantine, la mère nous répondit que c'était de notre faute puisqu'il POUVAIT matériellement sortir.

Je dois ici expliquer que le parc du collège où j'enseigne est assez grand et qu'il a beau être ceinturé de murs, être surveillé par au moins cinq pions, on ne peut, c'est vrai dans tous les établissements scolaires, empêché un élève qui veut s'enfuir de le faire. Mais il est certain que, dès l'absence illégale constatée, la famille est immédiatement prévenue par téléphone ou mail, ou parfois les deux. Cette femme aurait voulu pour son fils, que pourtant elle couvrait à toutes les attaques, une école-prison qui la dispensait, elle, de ses responsabilités.

Je suis, ce soir, assez content de ne m'être énervé à aucun moment et d'avoir pu dire les choses de façon claire et sans prendre de gants, de façon polie mais ferme, renvoyant cette femme à sa responsabilité de mère, car, après tout, c'est bien de son fils que nous étions en train de parler. Je lui ai simplement rappelé qu'en inscrivant Matis dans ce collège privé, elle avait fait un choix d'adulte responsable, qu'elle avait lu le projet éducatif qui est distribué à chaque parent lors du premier rendez-vous avec le directeur, et que, dans ce projet éducatif, elle avait pu découvrir notre façon de travailler et d'envisager la relation enseignant-enseigné qui est aux antipodes de l'école prison.

Nous tenons, lui ai-je rappelé, à former des enfants, des adolescents, de futurs adultes, non seulement en leur enseignant les matières du programme mais aussi en leur apprenant le respect des autres et d'eux-mêmes, en leur montrant le chemin de la vie en commun dans une société où chacun a sa place, même le plus différent. Je sais que cette façon d'appréhender l'éducation ne nous est pas spécifique, qu'elle n'est même pas propre à l'enseignement privé et que mes collègues et amis du public partagent là-dessus les mêmes opinions et les mêmes aspirations. J'apporte cette précision afin que l'on n'aille pas s'imaginer que je suis en train de faire l'apologie de l'école privée.

Je parle d'un enfant de bientôt treize ans, troublé, perturbé par l'absence d'un père, que la mère, par contrecoup, couve d'un amour destructeur pour elle comme pour lui. Il fut décidé, en fin de conseil, d'un renvoi définitif avec sursit. A l'annonce de cette décision, la mère se mit à sourire en nous couvrant tous d'un regard méprisant. L'après-midi, cet élève que j'ai eu pendant une heure de cours avait compris que, quoi qu'il fasse, il serait dédouané à la maison. Même avec moi, avec qui, pourtant, le dialogue jusqu'à ce jour n'avait pas été interrompu, il s'est montré méprisant et hautain.

Ce garçon a besoin d'un suivi psychologique sérieux (plus de quelques coups de pieds au cul bien sentis, d'accord!). Je l'ai dit, par deux fois. Il est évident qu'une mère ne lui suffit pas: il lui manque un père. J'ai toujours été très sensible à cette demande de la part de certains de mes élèves, non pour y répondre directement (surtout pas, je ne suis pas leur père, je suis leur prof) mais pour faire admettre au corps enseignant à très grande majorité féminine, qu'un garçon, ce n'était pas une fille et que ce qui fonctionnait pour l'une ne fonctionnait pas forcément pour l'autre. Après des années de surdité absolue, j'ai l'impression que, peu à peu, certaines oreilles se débouchent. Chez les enseignants, en tout cas. Pour cette femme, ce n'est pas gagné.

8 commentaires:

Tef69 a dit…

Bravo ! Je n'aurais pas mieux dit... Ce n'est pas une partie de plaisir ces moments là surtout avec ce genre de parents !

Petrus a dit…

Bravo aussi !Un petit billet sur la morale c'est pas mal de temps en temps...Il y a des valeurs qu'il faut rappeler.

Fabrice a dit…

Mais alors, en disant qu'une mère ne suffit pas, qu'il faut aussi un père, tu t'opposes à l'homoparentalité !

Kab-Aod a dit…

Prenant pour exemple le triste sort de mon neveu (fils de divorcé et suivi par des travailleurs sociaux), je crois que treize ans est limite l'âge du "trop tard" pour les "coups de pieds au cul" magiques (méthode que par ailleurs je n'approuve guère).

piergil a dit…

Pour le cul, y'a mieux que les coups de pied à mon goût....mais c'est pas pour le même genre d'éducation.... :-))

Lancelot a dit…

>> Fabrice : Moi ce que je pense (mais Calyste nous donnera sûrement son avis) c'est qu'il vaut mieux être DEUX pour élever un enfant. Deux hommes ou deux femmes, je crois que là n'est pas le problème. L'enfant peut mieux se définir et s'épanouir entre deux adultes, chacun complétant mutuellement les lacunes de l'autre. Je ne crois pas à la nécessité d'un référent MASCULIN ou FEMININ (sexuellement parlant) en matière d'éducation. Nous portons tous en nous les deux composantes. A nous de les activer le mieux possible selon les circonstances.

>> Calyste : C'est un billet fort riche, on pourrait en discuter chaque paragraphe en détail. Je me limiterai à cette simple question : est-ce que 'Renvoi avec Sursis' implique VERITABLEMENT qu'à la prochaine incartade il sera définitivement exclu ? Si c'est le cas (s'il y a déjà eu des précédents), il est étonnant qu'il n'ait pas compris qu'il ne devrait pas trop la ramener avec son attitude "hautaine"...
Dans le cas contraire, si les 'sursis' reviennent à pisser en l'air (et qu'il y a eu des précédents aussi) alors là, évidemment....

Kab-Aod a dit…

@ Lancelot : Je n'ai pas fini d'y réfléchir, mais je ne sais toujours pas aujourd'hui ce que signifie avoir un côté féminin pour un homme (c'est joli, mais est-ce fondé ? Il se pourrait qu'hommes et femmes ne soient "séparés" que par leurs extrêmes, et non par l'essentiel ; élever un enfant ne figure pas, à mon sens, parmi les extrêmes).
Et j'ai un doute sur ton "alors là évidemment..." L'échec de la prévention, à mon sens, n'excuse pas l'approbation de la répression.

piergil a dit…

A propos d'homoparentalité, lu quelque part:
"Deux manchots Humboldt homosexuels mâles du zoo de Bremerhaven, dans le nord de l'Allemagne, sont depuis avril les parents adoptifs d'un bébé de leur espèce qu'ils ont couvé eux-mêmes. L'œuf avait été rejeté par ses parents biologiques avant l'éclosion. "Malgré les tentatives répétées des vétérinaires pour replacer l'œuf dans son nid d'origine, les parents persistaient à le rejeter", a expliqué le zoo sur son site Internet. L'œuf a donc été confié à un des trois couples de manchots mâles homosexuels du zoo dans l'espoir qu'il le nourrisse et l'élève. "Les deux manchots l'ont accueilli avec joie et l'ont couvé fièrement."

"Depuis que l'œuf a éclos, ils se comportent avec lui comme de vrais parents", relate le zoo. Le couple s'occupe ainsi quotidiennement de la toilette du bébé de quatre semaines et le nourrit de bouillie de poisson. "L'homosexualité n'a rien d'inhabituel chez les animaux. L'accouplement dans ce monde n'est pas forcément lié à la reproduction", souligne le zoo. Le zoo de Bremerhaven avait pourtant fait les gros titres en 2005 lorsqu'il avait fait venir quatre femelles de Suède dans le but de séparer les couples homosexuels et d'encourager la reproduction de l'espèce.

Quatre autres œufs de manchots Humboldt sont actuellement couvés par des couples hétérosexuels au zoo de Bremerhaven. L'éclosion est attendue pour les jours à venir. Les manchots de Humboldt, qui vivent sur les côtes chiliennes et péruviennes, ont vu leur nombre se réduire drastiquement ces dernières années, notamment à cause de la pêche industrielle qui a raréfié les anchois dont ils se nourrissent."

...sont p'tête pédés comme des phoques mais sont pas manchots ces bestioles!...
Dans certains domaines il suffirait peut être de s'inspirer des "lois" de la nature, encore faut-il savoir les observer... à moins que l'homme soit parfois trop bête..ou pas assez.

Quand à la nouvelle famille Humbolt, espèrons que même exilé loin de leur pays d'origine ils puissent mener une vie heureuse et épanouie...
;-)