Avec l'approche de la fin d'année scolaire, les casiers des professeurs se remplissent de tonnes de spécimens envoyés par les éditeurs espérant que leur manuel sera choisi au détriment des autres.
C'est impressionnant. Chaque jour voit son lot de nouveaux arrivages. Une collègue reçoit même parfois les choses en double: un lot au nom de madame et l'autre à celui de mademoiselle. Nous avons droit bien sûr aux traditionnels manuels de grammaire, d'orthographe et d'écriture, maintenant souvent regroupés en un seul volume à couverture légère, poids des cartables oblige. Mais s'y rajoutent,en nombre de plus en plus remarquable, les romans historiques sur la partie du programme concerné, cette année celui de sixième, et, pire que tout, les réécritures de légendes antiques.
Alors je ne sais plus que faire des sous-avatars de l'Iliade et de l'Odyssée, se voulant tous plus didactiques les uns que les autres et, pour la plupart, écrits dans un style aussi plat que la plaine de la Beauce. L'une de ces dernières sorties a même le culot de rajouter, en couverture, au nom d'Homère celui d'une dame, illustre inconnue, qui s'est chargée de cette réécriture, comme si ces deux noms étaient d'égale importance, de semblable valeur!
Hormis à entretenir une guerre économique sans merci entre les différents éditeurs ou grands groupes, à quoi cela sert-il? Personnellement, je dirais: à rien. Certaines de mes collègues attendent avec impatience ce moment de grand arrivage pour feuilleter les nouveautés, comparer leurs mérites respectifs et choisir l'édition qui leur paraît la meilleure. Il reste ensuite à convaincre les autres de ce choix. On les croirait autour d'un bac de mousselines froufroutantes en période de soldes. Moi, je m'en moque presque totalement. Dans toute ma carrière qui commence à être longue, je n'ai que rarement été surpris par la qualité d'un ouvrage. Certains sont uniquement tape-à-l'œil, bien illustrés mais vides de contenus, d'autres se révèlent trop ardus pour le niveau où ils sont proposés et plus faits pour les professeurs que pour les élèves. Les manuels alliant une présentation attractive, un contenu sérieux sans être repoussant et une réelle approche pédagogique sont rarissimes. J'ai dû en connaître deux ou trois depuis trente ans.
Je fonctionne beaucoup par polycopiés. Bien sûr, cela "mange" du papier mais je reste libre de tout. Je m'affide d'autant moins à un manuel que je suis profondément persuadé que c'est la qualité et la personnalité du professeur qui fait l'essentiel. Celui qui ne s'appuie que sur le livre pour construire un cours risque vite de devenir ennuyeux ou de ne pouvoir développer une pensée personnelle (oui, c'est encore permis dans l'enseignement!). Partir les mains vides est bien sûr risqué en début de carrière, quand on ne possède encore totalement ni la technique d'enseignement ni, souvent, le bagage culturel suffisant. Mais ensuite, quel plaisir de pouvoir, au détour de la route principale, s'égarer (mais est-ce s'égarer?) dans de petits sentiers de traverse, ouvrir une parenthèse qui, au final, soutiendra le propos d'origine, sacrifier à l'humour et au jeu, par plaisir bien sûr, celui de se dérider soi-même et de voir s'épanouir ces visages enfantins, mais aussi parce que je suis persuadé que ce qui s'apprend dans la joie et la confiance se retient d'autant plus facilement. Pour ma part, ce sont ces moments-là de mes études dont j'ai gardé le souvenir, ou alors ceux où j'ai eu un réel os intellectuel à ronger, qui m'ont demandé de fatiguer davantage ma matière grise.
Alors aujourd'hui, j'ai emprunté un grand sac plastique à Stéphane (oui, je sais, je ne t'ai pas demandé, mais tu n'étais pas dans ton bureau!) et j'ai vidé mon casier. Le sac est maintenant à côté de moi. Je ne suis pas encore prêt à l'ouvrir, je n'en ai pas envie. Je ne sais d'ailleurs plus où je vais les caser, tous ces livres: tous mes rayons sont pleins malgré un premier tri il y a deux ans au profit d'une association. Je suis sûr d'une chose, malgré tout: me séparer de ces kilos de savoirs prédigérés au moment de ma retraite sera sans doute une grande joie du moment!
mardi 5 mai 2009
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5 commentaires:
Vous me faites penser au professeur du "Cercle des poètes disparus"
C'est vraiment beaucoup d'honneur. J'ai énormément aimé ce film, Océania! et la chaleur humaine qui s'en dégage. Peut-être que le petit professeur de latin qui s'essaie à la même démarche dans le film, rappelez-vous, c'était moi....
Va pas tomber de ton bureau en faisant l'agité !
En sixième, on avait droit aux digests : Quo vadis, l'Odyssée... pour un total de 200 pages au grand maximum !
Pareil, tout pareil. Les "réunions de choix de manuels" me saoulent horriblement, et, moi aussi, je fonctionne énormément par polycopiés.
En revanche, je feuillette souvent, seul, les nouveaux exemplaires envoyés, car il y a quelquefois, ici et là, un texte, une image, qui me plaisent, et qui m'inspirent pour les réutiliser. très souvent, je découpe et je remanie à MA sauce, ensuite. (pillage intégral, j'assume).
Je te rejoins totalement sur un autre point : SI le matériau plaît au prof, il sera plus performant pour son cours par la suite. J'ai déià essayé de prendre un texte 'au hasard', qui ne m'inspirait pas particulièrement, parce que j'étais pressé par le temps. Je l'ai fait une seule fois. Je le referai jamais plus. le résultat fut catastrophique.
Aujourd'hui, on en est à moins, Christophe.
Même les plus grands chevaliers peuvent parfois se planter, Lancelot!
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