Soirée très tardive hier avec F-J.
Bonheur de ces retrouvailles où l'on peut discuter des heures sans voir le temps passer. Toujours la même franchise dans nos paroles, quel que soit le sujet abordé. Pour cela déjà, cette relation m'est chère. En plus, malgré des parcours radicalement différents, nous nous retrouvons souvent dans une communauté de vue sur l'analyse de la société actuelle, politique, rapports humains, conception de l'homme. Le retour à pied dans les rues désertes est devenu une sorte de rite. F-J m'accompagne presque jusque chez moi, ce qui nous permet de poursuivre la conversation engagée.
C'est justement lui qui m'a donné l'idée de ce billet. L'image et le rapport que l'on a à elle ont occupé, dans nos échanges, une partie de la soirée. Je lui évoquais cette sorte de "calendrier de l'action humanitaire", comme il y a un calendrier de l'Avent à ouvrir jour après jour: une grande affiche, au catéchisme, sur laquelle, semaine après semaine, nous collions les images que nous avions achetées avec nos économies (ce dernier point était très important). A la fin, une fois toutes les cases occupées, nous envoyions l'argent récolté à une organisation humanitaire. Cela lui a rappelé bien sûr les images des tablettes de chocolat, Pupier, Ceymoi ou Poulain, je ne sais plus, peut-être les trois, que nous collions aussi sur un album, après des échanges enragés dans les cours de récréation de l'école primaire. Il y avait, je me souviens, des séries à thèmes: un pays, un continent, des familles d'animaux.
A cette époque-là, l'image constituait pour nous, les enfants, un trésor inestimable. Rare, elle en était d'autant plus précieuse. D'ailleurs, quand on avait été particulièrement sage à l'école, on recevait une image. Et ne dit-on pas encore aujourd'hui: "sage comme une image"? Les collections de timbres offraient aussi de merveilleuses occasions de découvertes et de rêves de pays qui, à nos yeux, n'existaient que par elles. Mais les adultes non plus n'en étaient pas saturés. A l'époque que j'évoque, il n'y avait qu'une chaîne de télévision, et de plus en noir et blanc, et l'information avait son heure, dans ce qui s'appelait alors les "journaux télévisés" (bel hommage, oublié aujourd'hui, à la presse écrite).
Maintenant, il y a pléthore de médias pour accéder à l'information et à l'image. Celles-ci arrivent souvent en temps réel, ce qui a profondément modifié les bases du métier de journaliste. Elles peuvent, nous l'avons appris lors de certaines guerres, être censurées, truquées, faussées, détournées. A part quelques moments-choc comme le 11 septembre ou, pour moi davantage, la chute du mur de Berlin, on les regarde souvent avec lassitude, sinon avec suspicion. L'abondance nuit à l'intérêt qu'on pourrait y porter. Certains ont même du mal à faire la distinction, particulièrement chez les jeunes, entre réalité et fiction. On n'imagine pas que les victimes palestiniennes des bombardements israëliens soient de vraies victimes. Tout cela reste un peu trop dans le virtuel.
Ainsi, d'une image rare et respectée pour cela, on en est arrivé à une image surprésente et suspecte. Où est le gain? D'autant que souvent, pour capter le spectateur, les médias se livrent entre eux à une surenchère dans le porno ou dans l'horreur (ce qui, au final, est à peu près la même chose). Bien sûr, j'ose espérer que le spectateur a acquis depuis les années cinquante ou soixante une certaine aptitude à la critique, sait se ménager un certain recul devant les informations qu'on lui bombarde, mais je n'en suis pas si sûr.
Quant à la fiction, c'est le même processus qui est enclenché. On connait Pagnol ou Tolkien par les films qui en ont été tirés, mais qui prend la peine de les lire? L'image étant reine, elle inhibe totalement l'imagination pour certains: le personnage du roman n'aura jamais un autre visage que celui de tel ou tel acteur tenant du rôle. L'imagerie intérieure, autrement dit le rêve, s'étiole chez les adolescents. Cela pourrait, après tout, ne pas être très grave. Qui a dit, en effet, que l'écrit devait avoir la primauté sur tout? Nous nous éloignons sans cesse de la galaxie Gutenberg dont, personnellement, je fais "naturellement" partie (même si je me soigne!). Une autre "imagination" peut voir le jour et permettre, en tout cas je l'espère, aux jeunes de se construire en tant qu'individualité. Pourquoi pas?
Un aspect me gêne pourtant dans cette évolution de la structuration de l'intelligence et de la pensée: l'uniformisation progressive. Images passant en boucle, slogans répétitifs, poncifs des modes tyranniques. Comme l'uniforme du vêtement, extériorisant l'appartenance à deux ou trois clans distincts, pas plus, je crains qu'il n'y ait l'uniforme de la pensée. N'y sommes-nous pas déjà dans les divers mouvements politiques, s'opposant, en France en tout cas, bloc à bloc avec la meilleure mauvaise volonté du monde? La brebis tentant de sortir du troupeau bêlant est immédiatement récupérée par le troupeau voisin, dont elle s'apercevra vite, s'il elle en a encore les moyens, qu'il s'avère tout aussi bêlant.
Alors, l'anarchie (au sens d'une mise en place d'une loi non de groupe mais individuelle)? Je suis pour ma part trop attaché aux valeurs du combat, à l'idée d'éducabilité (pardonnez le vocabulaire de prof), au sens de la fraternité pour en arriver là. Mais j'ai bien souvent l'impression de penser dans le désert.
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5 commentaires:
Nous sommes toujours la brebis d'un troupeau, petit ou grand (et probablement parce que nous héritons plus que nous créons). À croire que les positions ou les pensées nouvelles n'existent plus... Parfois cependant je rêve du jour où les systèmes éclateront :)
Comment ça le porno et l'horreur seraient la même chose ?
Mais pas du tout.
On n'en prend pas le chemin, Kab-Aod!
A un certain degré, irregardable, oui, Olivier. Et ne crois surtout pas que je suis prude. :-)
"L'imagerie intérieure, autrement dit le rêve, s'étiole chez les adolescents. Cela pourrait, après tout, ne pas être très grave (...) Une autre "imagination" peut voir le jour et permettre, en tout cas je l'espère, aux jeunes de se construire en tant qu'individualité. Pourquoi pas?"
J'en suis persuadé. Découvrir les oeuvres littéraires a posteriori, après avoir vu les films, c'est une démarche plus courante qu'on ne le croit, même et surtout chez les ados. Ca remue, ça grouille, ça bouillonne sans qu'on ne le sache. Beaucoup plus souvent qu'on ne pense.
Bon, quel est le puourcentage de la population qui a envie d'aller au-delà de la facilité de l'immédiateté des images et de cette forme de 'direct', là est la question. Mais j'essaie d'être plus optimiste sur ce sujet.
(Pour le clivage entre le porno et l'horreur, tout dépend de quel porno... Il y en a d'excellente qualité... Moi non plus, je ne suis pas prude... Pas prude du tout, même... yuk yuk yuk...)
Bonnes vacances à toi, reviens nous vite !
Coucou, me revoilà!
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