Le titre de ce billet va en surprendre plus d'un. Non, je n'ai pas connu personnellement la sœur de Lazare et de Marthe, trois de ceux qui, dans la Bible, accueillirent Jésus dans leurs maisons. J'ai connu une autre femme, une religieuse qui portait ce nom-là. Je n'ai jamais su à quelle congrégation elle appartenait: j'étais trop petit à l'époque.
Sœur Marie de Béthanie vivait dans sa communauté, au chef-lieu du village où j'ai passé mon enfance. Elles étaient quelques-unes à paisiblement vieillir à l'ombre de l'église, dans une propriété ceinte de hauts murs, dont aucun son ne parvenait à l'extérieur. Même lorsqu'on sonnait au portail de la rue, aucune résonance d'une quelconque sonnette. Pourtant, invariablement, au bout d'un temps plus ou moins long, quelqu'un, quelqu'une, venait ouvrir.
En général, c'était elle car, dès l'entrée dans la propriété, on se trouvait dans un petit bâtiment de bois qui servait d'infirmerie à la moitié du village et dont elle occupait le poste d'infirmière en chef. Je n'aimais pas beaucoup cet endroit car c'est là qu'on souffrait une première fois pour nettoyer à l'alcool une plaie au genou ou au coude, et une seconde quand il fallait arracher le pansement pour le remplacer. Elle procédait par gestes brusques, que je redoutais. Je ne savais pas, à l'époque, que c'est la meilleure façon d'abréger la souffrance.
Je n'aimais pas non plus cet endroit à cause de l'odeur qui l'imprégnait, une odeur froide de divers produits mêlés sur lesquels planait, plus forte, celle de l'éther. La seule consolation était de voir, par la grande fenêtre, les vieux rosiers du jardin tout courbés du poids de leurs fleurs généreuses. C'est ainsi, en général, que je m'y présentais: en apnée, tous les membres crispés et le regard ailleurs, sur la verdure et la liberté.
Soeur Marie de Béthanie faisait aussi les piqûres. A la fin de sa vie, un de nos voisins paysans, de ceux qui alors vivaient encore comme au Moyen Age, partageant la pièce unique à vivre avec poules et lapins, eut besoin de soins fréquents. Comme il ne pouvait plus se déplacer, mon père se proposa pour véhiculer la brave soeur du village au hameau et retour.
La route n'atteignait pas encore la ferme de ce pauvre vieux. Il fallait, pour y parvenir, emprunter un chemin défoncé et caillouteux où les voitures de mon père perdirent toutes un jour où l'autre leurs amortisseurs. Lorsque la secousse se faisait trop brusque ou le surprenait, mon père oubliait avec qui il voyageait et se mettait à jurer comme un charretier. Marie de Béthanie ne s'en formalisait pas: elle riait et l'aimait parce qu'il était bon.
C'est elle qui avait été appelée en renfort pour me faire passer l'épouvantable habitude de faire pipi au lit alors que mon âge ne le permettait plus. La grande maison à côté de la petite.... Mais je l'ai déjà raconté.
Aujourd'hui, la congrégation ne vit plus dans le village, les bâtiments et le terrain ont été vendus à je ne sais qui, avocat, notaire ou médecin. Elle, elle est enterrée au cimetière, avec quelques autres. Une tombe simple, rarement fleurie face au monument, prétentieux dans son austérité, du Baron local dont la chapelle en pierre volcanique sombre, noire, domine le carré de terre où reposent, sans aucune indication de noms, les adeptes d'une secte implantée depuis le XIX° siècle dans le village,: les Béguins, dont je parlerai peut-être un jour.
Marie de Béthanie a été pour moi, malgré son apparence bonhomme due à son embonpoint, une source de terreurs plus que de joie. Pourtant, je sais tout le bien qu'elle a fait autour d'elle. Je sais combien mon père, ce mécréant à qui il ne fallait pas parler de religion, l'aimait et la portait en haute estime. Rien que pour ça, elle méritait que je l'évoque ici, que je ressuscite un instant sa bonté et sa douceur qu'enfant, je n'ai jamais su voir.
vendredi 28 novembre 2008
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3 commentaires:
Et tes incontinences, ça va mieux ?
Et ta sœur!
Ah, ce Petrus.... je me tords de rire.... ;-)
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