C'était le dernier né, pas forcément le plus aimé. Avant lui, il y avait d'abord eu mon oncle, un sanguin que je ne connus guère à cause de la brouille qui divisa longtemps la famille, et celui qui fut mon père pendant sept mois avant de mourir d'une maladie du cœur le jour de la fête foraine du village. Ma grand-mère avait une préférence pour les deux premiers, l'un, mon oncle, parce qu'il lui ressemblait physiquement et par tous ses comportements, l'autre, mon père, parce qu'il était, selon ma mère, en adoration devant elle et lui servait de larbin.
Circonstance aggravante, il avait un caractère indépendant et peu sociable et se montrait aussi têtu qu'on peut l'être dans la famille. Un jour, ma grand-mère invita des gens du village, sans doute pour quelque transaction concernant des prés à acheter, il se réfugia dans l'escalier qui conduisait au grenier et, lassé d'attendre, finit par couper l'électricité.
Sur les photos fanés et jaunies de l'époque, il ne sourit guère. Il a l'air un peu malingre et apparaît toujours mal fagoté, avec la chemise en dehors du pantalon et le nez sali par des restes de mûres ou de cerises ou par le travail qu'il venait de finir avec les bêtes. Quand l'aîné cambrait le torse et regardait sans ciller l'objectif, quand le cadet prenait l'air sérieux des enfants sages, lui semblait toujours ailleurs, plus intéressé par la vie autour et la prochaine échappée que par cette volonté d'immortaliser l'instant.
Ma grand-mère était veuve: pendant le couvre-feu, mon grand-père avait été coincé entre les tampons de deux wagons à la mine où il travaillait. Ce devait être une force de la nature (sa photo de mariage le prouve) car, avec un thorax enfoncé, il survécut plusieurs jours à l'accident. Elle me montrait souvent l'oignon de montre qui était ce jour-là dans sa poche gousset: on ne pouvait plus l'ouvrir tant il était plat. Sans doute marquait-il l'heure exacte de l'accident. Je n'ai jamais pensé, enfant, à le vérifier.
Trois garçons et cette femme dans une ferme appartenant au bassin houiller et à quelques mètres d'un énorme terril au pied duquel finirent ensuite de rouiller les reliques de ce qui avait été un puits de mine. Une bâtisse peu confortable sur un terrain en pente, au milieu des deux prés où broutaient les vaches qu'ils rentraient le soir dans l'écurie, sous les pièces habitables. La guerre était là. Pour survivre, il fallait travailler dur, même les enfants. En ont-il souffert? Moins sans doute que la famille de ma mère.
Mon père (il le devint en épousant ma mère quelques années après la mort de celui qui, génétiquement m'avait donné le jour) parlait peu de son enfance. Il n'aimait pas sa propre mère. Je le vois encore, à chacune des visites que nous le faisions, s'emparer du journal local et le lire jusqu'à ce que nous décidions de repartir. Mais s'il ne l'aimait pas, il n'y fit jamais allusion devant moi, ni devant qui que ce soit de la famille. Ma mère non plus n'appréciait pas sa belle-mère, à cause sans doute d'une trop grande similitude de caractère. Et ma grand-mère, longtemps, détesta sa belle-fille à qui elle reprocha un jour de lui avoir volé deux fils et dont elle pensait qu'elle avait la folie des grandeurs parce qu'elle avait voulu un jour acheter un poste de télévision.
lundi 5 décembre 2011
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6 commentaires:
J'ai l'impression de connaître tout ça.
P.P: tiens, tiens!
Dis moi, ton second père était le frère de ton géniteur ?
Valérie: oui, ça peut surprendre mais je pense que cette situation n'était pas si rare à l'époque.
Une époque que j'ai un peu l'impression de connaître car mes ancêtres n'étaient pas si éloignés que ça de cette situation (géographiquement et socialement).
Cornus: oui, j'étais sûr que ça allait te parler, à toi aussi.
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