Après l'obtention de mon baccalauréat, je quittai la Loire pour m'installer à Lyon où je m'inscrivis en fac de lettres. Je pris pour prétexte de ce départ le fait que l'équivalent n'existait pas à Saint-Étienne, ce qui était faux. Tout le monde fit semblant de me croire, tant la tension était devenu extrême en famille. La mort de ma petite sœur dans un accident stupide n'avait pas contribué à arranger les choses et une gifle reçue au cours d'un repas, parce que j'avais osé m'en prendre à mon autre sœur, la survivante, mit un point d'orgue à la rupture. Pendant six mois, je n'adressai pas la parole à mon père.
Le changement d'existence fut difficile. Je me retrouvais dans une grande ville, à l'étroit dans une chambre de cité universitaire, moi qui n'avais connu, à une exception près, que de vastes espaces de vie. Le lyonnais n'est pas très accueillant de prime abord et je connus de grands moments de solitude. Mais j'avais choisi de partir et, pour rien au monde, je n'aurais reconnu que j'en souffrais. Un retour en famille tous les quinze jours me semblait le maximum que je puisse supporter.
Cette solitude fut, au début, faussement compensée par les sorties nombreuses en boîtes de nuit et les rencontres faciles. Mais, bien vite, l'étourdissement que cela me procurait se dissipa, la vie nocturne ne m'apporta plus ce que je pensais qu'elle m'offrirait lorsque je la voyais de loin, de Saint-Étienne. Je passai ainsi un an, malheureux mais plus buté que jamais. Seul intermède à cette grisaille, les visites de mon ami d'enfance, Yvon, mais lui descendait la pente suicidaire qui le mènerait à la pendaison quelques temps plus tard et nos soirées ne consistaient bien souvent qu'à boire plus que de raison en refaisant un monde dont, inévitablement, nous aurions été le centre.
Je devins con, au point de gâcher même la seule amitié solide sur laquelle je pouvais m'appuyer: un homme rencontré avant mon départ de Saint-Étienne, un lyonnais plus âgé que moi dont les conseils m'avaient été d'un grand secours pour mettre fin, ou tenter d'y mettre fin, à ma culpabilisation récurrente. Les premières tentatives de suicide d'Yvon trouvèrent en moi un écho favorable et il n'est pas douteux que j'aurais suivi son exemple si je n'avais, alors que je ne croyais plus en grand chose, rencontré Pierre.
Pourtant, sans le savoir, j'avais, par mon départ, posé un acte définitif qui me permit par la suite de me reconstruire et, sur le moment, d'échapper à la morbidité du cercle familial dont l'existence avait été définitivement bouleversé par la mort de ma petite sœur. Alors que je prenais une autre voie, ils continuèrent, malgré eux, à vivre en fonction de ce drame qui, aujourd'hui encore, conditionne tous les gestes de la vie de mon autre sœur.
jeudi 22 décembre 2011
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4 commentaires:
Mon frère est mort à 29 ans, déjà adulte et n'habitant plus à la maison. Mais malgré cela sa mort à bouleversé la famille, d'autant que c'était l’aîné. Quitter sa famille lorsque la vie ensemble devient cauchemar est sans doute la meilleure chose à faire, je suis partie à 18 ans coupant totalement les ponts pendant deux ans, et moi aussi j'ai un temps glissée sur la pente savonneuse, sans regret puisque j'ai réussi à stopper la chute.
Valérie: je ne connaissais pas cet épisode de ta vie. Une petite sœur d'errance, alors...
Je ne sais pas ce qui s'est passé, mon commentaire n'a pas été pris en compte. Je disais que cette idée du suicide me touche. Je n'y ai pour ma part jamais songé, mais j'ai été confronté de près à la chose, alors.
Cornus: quoi! Censurer mon Cornus! Je vais me plaindre de ce pas! Il va y avoir du sang et des larmes!
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