A à peine onze ans, on m'envoya au lycée. Mon instituteur était venu voir mes parents pour leur expliquer que je valais mieux qu'un simple certificat d'études. Ma mère rechigna sans doute un peu; cela allait coûter cher. C'est mon père qui accepta, comme il le fit sans cesse par la suite lorsqu'il s'agit de continuer mes études. Personne ne savait au juste dans la famille en qui cela consistait et une seule réunion, un soir, leur suffit pour savoir que ce n'était pas leur monde.
Ce monde n'était pas le mien non plus. Je me retrouvai en présence d'enfants tous d'autres catégories sociales, pour qui cette orientation semblait toute naturelle et incontournable. Je me levai encore plus tôt pour prendre un vieux tacot poussif qui m'emmenait à Saint-Étienne chaque matin, un peu honteux en hiver de l'anorak que l'on m'avait acheté et qui, destiné à durer plusieurs années, m'était au début largement trop grand.
Qui m'avait inscrit dans une section classique, avec deux langues anciennes, le latin puis bientôt le grec? Je n'en sus jamais rien. Mais je découvris vite que ces deux langues feraient mon bonheur, alors que l'anglais me rebuta immédiatement, comme une langue destinée aux bourgeois qui m'entouraient. J'y excellai bien vite. Elles vinrent peu à peu remplacer l'imaginaire chrétien qui avait été le mien jusque là. La parabole fut oubliée pour le mythe et la statuaire antique enflamma mon imagination de toute autre manière que ne l'avaient fait les représentations saint-sulpiciennes de la petite église du village.
Mes premiers contacts avec mes condisciples furent rugueux et je compris rapidement que là où les autres pouvaient se contenter d'être médiocres, il me faudrait, à moi, être excellent. Je travaillais comme un fou, c'est-à-dire comme un paresseux consciencieux qui tient à se débarrasser de son travail pour passer à autre chose. Cet attitude face au travail intellectuel ne m'a jamais quitté depuis. Je découvris des mondes où je me sentais bien. Certains professeurs, d'origine modeste eux aussi, me prirent en affection et, malgré leur sévérité et leurs exigences ou grâce à elles, je leur dois beaucoup.
Mais cette fréquentation d'autres rivages creusa encore le fossé qui s'était installé entre mon père et moi. Je ne compris pas qu'il était fier de ce que je devenais. Il fallut, de longues années plus tard, que j'apprenne par une bouche extérieure à la famille, la façon dont il parlait de mes études, pour que je me rendes compte que la réalité était tout autre que celle que j'imaginais. Ainsi, dans mon esprit, d'étranger devint-il méprisable. Face aux lycéens, je défendais mes origines, en mon fond intérieur, je me mis parfois à les rejeter.
Je ne voyais pratiquement jamais mon père qui cumulait les travaux pour nous faire vivre tous les six. Et, lorsqu'il était là, ses préoccupations, ses goûts étaient à de telles lieues des miennes que je finis par ne plus supporter sa présence que comme un mal nécessaire. Le fait que je sache qu'il n'était pas mon géniteur ne fit qu'aggraver les choses. Je finis par le lui reprocher un jour de grande colère. Sans doute en souffrit-il mais il ne m'en parla jamais.
mercredi 14 décembre 2011
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9 commentaires:
En définitive, il n'en aurait pas fallu beaucoup pour que vos relations soient plus "détendues". C'est fou quand même de voir à quel point on se complique la vie parfois.
Tu as lu Antoine Bloyé, de Paul Nizan ? Bien entendu, ça se passe à une époque beaucoup plus éloignée que celle dans laquelle tu te situes, mais ça m'y fait penser...
La syntaxe de ma phrase est bancale, mais tu vois ce que je veux dire.
Cornus: elles le devinrent, sur le tard, très tard.
Christophe: non, seulement Aden Arabie, il y a très longtemps.
Tu vois, j'ai vu!
Ces billets sont bouleversants.
Valérie: je ne sais pas, Valérie. En tout cas, je ne les écris pas pour ça. Ils représentent " juste une mise au point", comme disait la chanson.
tous ces malentendus dont la vie es;t faite... Toujours aussi intéressant.
Je sais bien Calyste que tu n'es absolument pas dans le pathos, mais ces billets sont extrêmement bouleversants malgré tout.
Karagar: le malheur, c'est qu'ils se résolvent souvent trop tard.
Valérie: j'essaie, en tout cas.
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