En 1960, à la mort de ma grand-mère, je dus réintégrer le domicile familial. Je n'avais alors qu'une vague idée de ce que c'était que la mort et ne comprenais pas que la disparition d'un être était irrémédiable. On me récupéra avant que ma grand-mère ne puisse plus s'occuper de moi et je ne la vis jamais gravement malade. C'était aussi le premier être cher que je perdais. Aussi ce retour, ce ne fut pas de gaieté de cœur que je l'accomplis. Mes parents avaient vendu leur commerce et déménagé, et habitaient maintenant dans le même village que moi. La famille s'était agrandie d'une petite sœur. Là non plus, je ne l'avais pas vu venir. J'avais bien constaté que ma mère avait beaucoup grossi, en particulier son ventre qui avançait anormalement, mais je n'en connaissais pas la cause. On n'expliquait pas alors aux enfants comment se font les bébés.
Je ne pris réellement conscience de la mort de ma grand-mère que quelques mois plus tard, sur le chemin de l'école. Je faisais comme d'habitude très attention à ne pas marcher trop près du bord de la route et surveillait d'un œil les buissons où grouillaient les vipères lorsque la révélation m'atteignit en pleine face: je ne la reverrais plus. Ce fut sans doute le plus gros choc de mon enfance. Celui-ci, je ne parvins jamais à le gommer.
" Je dus réintégrer le domicile familial": pour moi, ce changement de maison était un cataclysme. Je passais de l'état de fils unique, habitué à sa solitude et à ses jeux tranquilles, à la condition d'aîné de la famille. Ce nouveau statut impliquait, je le découvris vite, des tas de complications: d'abord, les travaux aux champs. Mon père avait récupéré la ferme de sa mère et nous possédions des chèvres et des moutons qu'il fallait régulièrement sortir de l'enclos pour les mener paître aux alentours. Cela signifiait une attention de tous les instants, particulièrement pour les chèvres qui avaient l'art de disparaître quand je m'y attendais le moins. Il suffisait que je reste quelques minutes la tête penchée sur le livre que je lisais pour qu'elles prennent la clé des champs. Et j'avais toujours un livre avec moi. C'est à cette époque que je découvris les auteurs qui enrêvèrent mon enfance: Jules Verne et A-J Cronin.
Ensuite, le ménage tous les dimanches matins. Mon père, toujours mineur, travaillait aussi aux halles dont il rapportait des cageots de légumes et de fruits. Aux beaux jours, nous nous en gavions, accusant le chien lorsqu'il manquait trop de cerises dans le mussy . Ma mère avait trouvé un emploi de vendeuse des fleurs dans un magasin de la ville. Les tâches ménagères me revinrent donc naturellement. Je passais ma matinée à nettoyer la maison, sol et poussière des meubles, tout en surveillant mon frère qui ne manquait jamais une bêtise à sa portée. Elle était alors bien loin, ma quiétude auprès de la vieille dame d'un autre siècle.
Pourtant, je n'en garde pas un mauvais souvenir. C'est même à ce moment-là que j'appris à danser la valse. Sur l'électrophone flambant neuf, je mettais chaque dimanche matin un de nos premiers disques: les Valses de Strauss, et puisque ma mère, excellente danseuse, refusait de m'apprendre le pas, je le découvris tout seul avec, comme partenaire, le manche du balais que j'avais entre les mains. J'appris vite et ma mère, un jour qu'elle essaya, dut avouer qu'elle avait du plaisir à danser avec moi.
mercredi 7 décembre 2011
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5 commentaires:
j'aime bien cette série
Nouvel enchaînement de briques déjà partiellement connues.
Le coup des chèvres, je connais par ma mère qui a longtemps pratiqué.
Les souvenirs des révélations liés à des éléments "physiques" comme ta prise de conscience que tu ne verrais plus ta grand-mère en voyant des "buissons à vipères" c'est tout moi. Personnellement, je forge en grande partie mes souvenirs sur des images qui n'ont pas forcément un intérêt par elles-même.
Karagar: et elle est francophone! :-)
Cornus: comme tu as pu le constater, les images tiennent une part primordiale dans ma façon de penser et de me repérer. Je crois que le pire qui pourrait m'arriver serait de devenir aveugle. Et ce n'est pas une plaisanterie.
A la fois, devenir aveugle, c'est terrible pour tout le monde. Je préfère pour toi et pour tout le monde que tu ne deviendras pas aveugle, ni sourd, ni infirme de je ne sais quoi.
Cornus: je mets un peu de temps à répondre aux commentaires, ces derniers jours. J'espère que tu ne m'en veux pas: la fatigue accumulée.
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