Il me manque. Je l'attends. Il manque à mon corps. Ma tête, je peux la raisonner, la détourner vers d'autres pensées, d'autres occupations, mais mon corps parle, lui, quoi que je fasse: il l'attend, lui aussi, le jour, la nuit même, dans mes rêves et mes gémissements. Alors, j'ai décidé de le laisser parler. Qui s'en soucie, d'ailleurs ici? Autour de moi, la plaine, cette plaine stupide de Caroline du sud que je haïrais si elle n'était pas à mon image: assoiffée, desséchée, tendue vers ce qui doit arriver, la pluie, l'ondée rafraîchissante, nourrissante, la même que celle que mon ventre espère à chaque instant, à se tordre, à se tendre, à s'offrir.
Ce matin, j'ai pris ma belle robe rouge, celle qui me dessine et me révèle, celle qui me colle comme une autre peau. C'est dimanche. Les autres sont partis à l'office. J'ai prétexté de la fatigue. Je voulais être seule. Il ne reviendra pas aujourd'hui mais je veux faire comme si. Il me trouvera là, sur le pas de la porte, lorsqu'il arrivera. Je reconnaîtrai entre toutes la nuée de poussière que sa voiture soulèvera sur la route. Ce sera un jour comme celui-ci, plein de soleil, torride.
J'ai beau essayer de l'oublier, je sens le désir partout en moi, qui me fait cambrer la croupe, comme une jument en chaleur, qui me fait me raidir pour qu'il me prenne, par devant, par derrière, avec violence, à grands coups de boutoir, comme une jument, exactement. Lorsqu'il est nu et que je suis nue, nous sommes deux animaux que rien n'arrêtera. Ses yeux fous plongent dans les miens et nos regards s'accouplent avant nos sexes. Parfois, nous n'avons pas le temps de nous déshabiller, pas l'envie. Il me prend alors dans la cuisine, contre la table, à même le sol, assis sur une chaise, ou dans le salon, sur le vieux canapé. Avec lui, j'aime tout, même la blessure au front qu'il m'a faite un jour contre le bois de ce meuble.
Ma poitrine, à ce souvenir, est dressée. J'ai l'impression qu'elle va jaillir de cette robe tant elle a besoin de ses mains. Du bout des doigts, je m'agace le bout des seins. Ils sont durs, pointent et en redemandent. Il sait que j'aime ça, qu'il me fasse venir les larmes aux yeux en les serrant trop fort. Il me traite de salope et je l'arrête avant que mon désir ne déborde. Alors, je l'excite à mon tour, en suçant son sexe ou en écartant son anus avec ma langue qui tour à tour le caresse, le chatouille, en force la porte pour s'enfoncer plus avant lorsque le désir le fait se tenir à quatre pattes, les fesses à la hauteur de mon visage. Je sais qu'il aime ça.
Il devient alors forcené et me réclame l'objet, celui que je n'ai pas et qu'il prend goulûment parce que son désir le veut, parce que pour un instant il se livre comme je me livre à lui, sans retenue, offert à ma fantaisie. Dans ces moments-là, je voudrais être un homme et le satisfaire de mon propre sexe, sans objet, rien qu'avec la rigidité de mon membre. Nos corps se comprennent, nous savons comment les combler, les faire se tordre dans les draps moites avant de retomber, fourbus et en nage, secoués encore de soubresauts incontrôlés.
J'ai laissé les volets de la maison fermés. Tout à l'heure, bien avant que les autres ne reviennent de l'office, je ne pourrai plus tenir. Je laisserai tomber ma robe près du vieux canapé, sur le tapis où elle fera comme une grosse fleur écarlate, un grand coquelicot dans un champ de blé, et je m'étendrai, nue, sur les coussins défoncés. Alors, doucement, très doucement, avec une patience infinie, je caresserai mon corps, comme il le fait, je le mouillerai de salive, comme il le fait, je passerai mes mains dans tous les plis de mon sexe, de mon aine, de mes fesses, comme il le fait, et je les sentirai, comme il le fait. Il m'a appris à aimer les odeurs, celles qui ne sont qu'à moi et qu'aucun autre que lui ne peut connaître. Alors, en pensant à tout ce que nous voulons encore faire ensemble, à tout ce que je veux qu'il me fasse découvrir, mes mains s'activeront plus fébriles, mon souffle se fera court, jusqu'à disparaître parfois quelques secondes, et je sombrerai dans le plaisir.
( D'après un tableau d'Edward Hopper, South Carolina Morning, 1955)
vendredi 10 septembre 2010
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8 commentaires:
Edward Hopper, c'est à breveter : ça finit par en devenir un test psychologique bien plus intéressant que les taches de Rorschach, ou le jeu des associations d'idées, pour révéler ce qui se trame aux tréfonds de nos petits neurones.... :)
J'ai remarqué un truc : c'est toujours des femmes. Ou peut-être, dans ta liste, y avait-il eu une exception, le pompiste ? Je ne suis plus très sûr.
Et du coup, évidemment, je me mets à farfouiller partout sur Google, dans tous les sens, pour vérifier s'il existe des tableaux dont on puisse imaginer les pensées... masculines.
Encore une fois, bravo, et surtout, merci.
Une oeuvre d'art, quel qu'elle soit, a une charge émotionnelle plus ou moins importante dont se nourrit celui qui la contemple ou l'écoute. Elle est souvent comme une auberge espagnole; on y trouve ce qu'on y apporte.
A cet égard, d'accord avec Lancelot, la peinture d'Hopper est un superbe support à fantasmes. Je la trouve curieusement immobile, comme une image figée, mais dont on ne peut s'empêcher d'imaginer ce qui a dû se passer avant et ce qui va advenir. Tu en donnes un bel exemple par la forme et le fond (G. Flaubert a dit une phrase définitive sur le sujet....)
Un des tableaux de Hopper que je préfère est ''Nighthawks''. Qui plongera dans les pensées de l'homme de dos accoudé au comptoir?
Interessant cette inclination à faire parler les femmes
Lancelot et Karagar: il est vrai que Hopper, en tout cas sur le calendrier que je possède, a nettement favorisé les femmes. A part le pompiste qui m'a paru intéressant, les autres hommes présents ne sont pas "excitants", littérairement parlant. Cela dit, j'ai eu plus de mal à rédiger ce texte que les autres, à cause de sa très nette couleur sexuelle (inspirée par le tableau). Que sais-je, après tout, des émois érotiques des dames? Il a fallu que je compose avec ce que je connais!
Charlus, je connais le tableau dont tu parles. C'est sans doute celui que je préfère aussi et, en tout cas, celui qui m'a fait aimer Hopper.
Bravo pour ce billet magnifique inspiré par Hopper !
J'avais envie de dire la même chose que Karagar, j'ai pas osé ! On est bien bête parfois.
Merci, Bacalao.
Il faut toujours osé, KarregWenn. Tu ne m'aurais pas vexé! Au contraire, je ne m'en étais pas rendu compte et c'est Karagar qui m'a ouvert les yeux!
oseR, pardon!
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