mercredi 14 juin 2017
Journée : nuit
Retarder. Retarder. Jusqu'à n'en plus pouvoir. Des ombres affairées passent derrière les vitres. Ce sont des vies rangées, des vies métronomiques. La fin de la partie, un tour inachevé. Et puis le noir ensuite, sauf une ou deux trouées. Même la rue s'endort, voitures solitaires. Finir par s'allonger, comme on va à la tombe. Et la trouver bien douce. Pas le choix des images qui ont hanté les nuits. La frêle fleur alpestre, en danger de mourir. La mort du pachyderme, le cri libérateur. La mare où s'embourbait ma plus petite sœur. Le plafond qui descend, pareil à un pendule. L'église Saint-Trophime, le soleil dans les rues et le silence de l'autre qui vient de disparaître. La neige de charbon au sommet d'une pente. Ma mère me tient la main mais où donc allons-nous ? L'impression que quelqu'un est là, au bord du lit. La main sur la lumière mais il n'y a personne. Les mirages de la fièvre, autrefois, dans la chambre, qui créait tous les monstres de la tapisserie. Un moustique est passé et puis j'ai replongé. Parfois dans la même eau. Souvent sous d'autres cieux. Visages des défunts qui nous sourient de loin. Es-tu là ? J'y étais mais tu ne peux m'étreindre. Terreur de le pouvoir : restez où vous dormez, et laissez-moi dormir. La tonnelle de roses au jardin de ma mère. Les guêpes affolées au sucre de la prune. Le professeur sévère mais qui vous complimente. Je le connais déjà avant de le connaître : je l'ai vu dans un songe, perché sur son estrade, un Jupiter tonnant, le sourire d’Éros. Les projets d'avenir, qui s'évanouiront. Les idées de romans que l'on oubliera vite. Les roues de la voiture d'un ami trop pressé, que l'on a vu tomber et que l'on a cru mort. Le moustique repasse et l'on reprend le livre. Mais que lit-on en fait qui n'est pas son histoire. Les nuits sont des annales qui bégaient dans le noir.
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5 commentaires:
J'attendais ces moments avec gourmandise. Leurs description répond pleinement à mon attente!
Je ne suis guère étonné. Mais que de noirceur. Logique à défaut d'être normal. Je me sens assez éloigné de tout cela. Certes pas de tout. J'ai aussi mes angoisses. Mais c'est au très petit matin qu'elles m'assaillent.
Jérôme : je suis toujours surpris, et touché, que des touches personnelles et souvent enfouies au plus profond, touchent d'autres que moi.
Cornus : non, ce n'est pas noir. C'est. Un lot personnel que j'ai (presque) apprivoisé. Vieillir, c'est peut-être mettre en forme, comme on emballe un cadeau, avec du joli papier.
Effectivement, l'obscurité est apprivoisée comme tu dis, mais nulle doute qu'elle est intrinsèquement en toi. L'âge est peut-être le papier cadeau, mais l'essence de ton âme, ta vie, c'est ton cadeau, qui brille ardemment.
Cornus : c'est beau, ce que tu dis.
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