Étrange, la réputation qu'ont bien souvent les enseignants auprès des gens de l'extérieur. L'ex mari d'une de mes collègues, avocat de profession, m'a dit un jour qu'il appréhendait d'avoir à défendre un professeur: la pire race d'emmerdeurs selon lui: "Il faut toujours tout leur expliquer, il veulent toujours tout savoir!". Il me semble pourtant que, tout en faisant confiance à l'homme de métier, il n'est pas interdit de chercher à comprendre les tenants et les aboutissants des actions qu'ils mènent. c'est même pour moi plutôt une preuve d'intelligence.
Les rapports avec les parents sont parfois (souvent?) conflictuels, et là non plus, rien d'étonnant. Je pense que ces chers géniteurs ont quelque part, bien cachée en eux, une sorte de jalousie vis à vis de ces étrangers qui passent plus de temps avec leurs enfants qu'eux-mêmes. Ils ont d'autre part une image assez erronée de leur progéniture qu'ils ne voient que dans le cadre un peu étroit et conformiste de la famille et que, bien souvent, ils n'acceptent pas de voir grandir. Certains, de plus, croient pouvoir imposer leur vue personnelle sur la façon de faire ce métier à des gens qui, pourtant, sont, excusez cette prétention, des spécialistes.
Les réactions des deux catégories précédentes ne me gênent guère, pour ma part, et ne m'ont jamais gêné.Mais le malaise, je l'ai bien des fois éprouvé ailleurs. Au contact des clients de mes parents, par exemple, des gens du peuple, à qui mon père était tout fier de dire que je continuais mes études, dans un milieu social où ce n'était guère l'habitude à cette époque. Ils étaient à la fois très respectueux et admiratifs et tout de suite gênés dans les rapports avec moi.
Lorsque je dis que je suis enseignant, ce dont je n'ai jamais tiré aucune gloire particulière, à des gens loin de ce milieu, je sens toujours ce mur se dresser, mur de respect et de crainte mêlés. comme s'ils se sentaient coupables de ne pas posséder ma culture, comme s'ils craignaient d'être jugés et infériorisés par le regard que je porte sur eux. Même ma grand-mère me disait qu'elle ne m'envoyait pas de cartes postales parce qu'elle avait peur que je vois ses fautes d'orthographe. Je les voyais, bien sûr, les rares fois où elle passait outre. Je les voyais, bien sûr, et alors? Elles ne m'en paraissaient que plus émouvantes et chargées de tendresse.
Je pense souvent que nous, les enseignants, ressemblons beaucoup à ces femmes de l'antiquité, choisies très jeunes dans la meilleure société romaine et formées, pour trente ans d'activité, au dur métier de vestales. Charge énorme qui devait en écraser plus d'une, qui leur imposait une conduite irréprochable tout en leur conférant un pouvoir exorbitant. Respectées sans doute mais certainement aussi profondément haïes alors que c'était la société qui les haïssait qui leur imposait justement ce statut.
Je ne sais si mes jeunes collègues, ceux qui débutent dans le métier aujourd'hui, ressentent la même chose. Personnellement, je n'ai jamais pu oublier cette double réaction de vénération et de crainte quasi religieuse. Peut-être eux ne perçoivent-ils plus ce tiraillement, ou le perçoivent-ils autrement, de façon plus brutale. Mais qui, en dehors du milieu scolaire, a-t-il conscience de la solitude profonde des enseignants? Les médecins, peut-être, bien seuls également.
mardi 22 février 2011
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13 commentaires:
Billet en plein dans le mille, c'est curieux ce statut un peu à part des enseignants, à la fois envié (les vacances !) jalousé (la permanence!) parfois méprisé (travail facile! ). Effectivement hors du monde aussi. Je pense à un texte de Hannah Arendt sur l'éducation que je faisais lire à mes futurs enseignants au secondaire où elle disait qu'un de nos rôle était de dire le monde à nos étudiants. C'est toujours une fonction un peu sacrée que de transmettre le savoir, d'où peut-être ce sentiment d'être à part.
Et quant aux futurs profs, j'en ai vu passer 15 cohortes jusqu'à maintenant, ils sont de redoutables techniciens pédagogues vu leur formation dominée par les facs d'éducation chez-nous. Ils ont des mots pour dire ce que je fais d'instinct, moi qui ai appris ce métier sur le tas. Mais en même temps je pense que ceux qui vont réussir sont précisément ceux qui resteront curieux du monde et qui sauront le connaître à force de se construire la culture qui leur manque.
Ce qui continuera d'emmerder les avocats. ;-)
Une explication, peut-être, c'est la façon de certains enseignants de juger sur la base d'un postulat simple : ils ont la connaissance ("je suis enseignant").J'y ai eu droit dans le passé et il fallait voir le regard que les autres s'échangeaint...
Mais, je pense qu'il y a quand même la reconnaissance pour un métier pas toujours facile aujourd'hui avec ces jeunes et, surtout, leurs parents dans un monde sans valeurs et où tout le monde attend des autres ce qu'il n'a pas le courage d'assumer. Là, les enseignants sont de parfaits boucs émissaires !
Re :
Et puis, il faudrait éviter certaines remarques sur ses avantages. Se lamenter que 2 semaines à Noël c'est peu et que la semaine de rentrée on va y aller "mollo" pour se reposer des réveillons, c'est très maladroit et cela entraine des réactions de l'entourage...
Comme je crois te l'avoir dit, j'ai des collègues à toi dans ma famille et mes amis et je leur dis souvent d'éviter de dire certaines choses car cela donne une mauvaise image (et faussée en plus !) de ce métier.
Mais, je suppose que tu dois en connaitre aussi !
C'est drôle, on fait le même métier, et je ne partage pas avec toi la plupart des choses aux quelles tu fais allusion (rapport avec les parents, vacances, sentiment de "solitude"...) alors il faudrait trouver un autre dénominateur commun...
Moi, c'que j'trouve drôle, c'est d'imaginer Calyste en vestale!!...
Pis,c'est qu'elles sont vouées aussi à la chasteté, ce me semble...pôv'Calyste!!! vivement la retraite! ;-)
Ici, c'est la même chose, Magoua: les nouvelles générations d'enseignants me font peur avec leur théorie à l'emporte-pièce, tout droit sorties des livres de pédagogie. comme tu le dis bien, il n'y a que le terrain de réellement formateur, si l'on veut se laisser former.
Si tu as bien lu, sans parti pris, Petrus, tu noteras que je dis exactement le contraire: je ne parle pas de "connaissance" au sens où tu l'entends, je parle de savoir-faire, qu'il est bien évident que ceux de l'extérieur n'ont pas. Quant à ton deuxième commentaire, je ne me sens pas concerné et la grande majorité des profs non plus sans doute. Nous "payons" nos vacances par le salaire ridiculement bas qui nous est octroyé vu notre niveau de formation universitaire. pour faire ce métier-là, il faut avoir le goût du sacerdoce. D'ailleurs, actuellement, il y a d'énormes problèmes de recrutement. La vocation se perd et je peux le comprendre.
Karagar: j'ai relu mon billet et à aucun moment, je ne parle des vacances. Quant au dénominateur commun, je suis sûr qu'il en existe plusieurs.
Piergil: rassure-toi, il y a de nombreux accrocs à la robe virginale!
Je suis assez étonné par cette note. Je ne parle pas de la situation de lorsque tu étais jeune et de ta famille à l'époque, ce que je conçois aisément. Non, je pensais que ce statut particulier de l'enseignant apparaissait beaucoup plus anecdotique aujourd'hui, même s'il subsiste naturellement.
Toutefois, je pense néanmoins que tu es dans le vrai car je vois le comportement de certains parents vis-à-vis de Fromfrom qui sont assez proches de ceux que tu décris : du mépris, du respect, du conflit...
Je pense que si j'étais parent d'élève, il y aurait beaucoup de naturel dans les liens avec les enseignants. Mais il est vrai que je ne suis pas un "cas ordinaire" ;-)
Oh, mille excuses Calyste, je suis pris en flagrant délit de confusion mentale... J'ai fais un mélange de ton texte et du premier commentaire... Eh oui, c'est ce qui arrive quand on est interrompu au moment de commenter, on s'y perd...
Pas d'accord avec toi concernant le salaire ! Il faut regarde dans d'autres administrations ou dans le privé !
S'il y a un terme que je n'emploie pas pour désigner notre "métier" (en est-ce vraiment un d'ailleurs? Ta comparaison avec les vestales me plaît bien et s'il y a une "virginité" à observer, c'est le recul que l'on doit avoir sur le monde), c'est celui "d'enseignant". Je porte doublement en horreur ce substantif. Par sa sonorité fâcheuse d'abord et ensuite par la déconsidération "fonctionnelle" et sociale qu'il véhicule. Ce n'est pas un hasard si certains milieux "pédagogiques" post-soixanthuitards universitaires l'ont imposé à partir des années 1970 en France. Histoire de bien marquer la distance entre eux et nous, humbles professeurs du secondaire maintenant chargé de se muer en simples animateurs socioculturels. Je revendique haut et fort le statut d'intellectuel lié de facto à notre profession. Et lorsqu'on me demande ma profession, je réponds systématiquement professeur. Que cela défrise ou non ceux qui me le demandent!
Je confirme, Cornus: tu ne dois pas être un cas ordinaire. D'ailleurs, pour être marier à une enseignante sans être soi-même enseignant...
Petrus: calcule le salaire réel de ceux d'autres administrations avec tous les avantages (primes équivalents parfois à plus d'un mois de salaires, chèques-restaurants, bons d'achats ou de réductions divers....), qui n'existent pas dans l'Éducation Nationale, et nous en reparlerons!
Moi aussi, Zeus, je me présente toujours comme professeur, mot qui me paraît être le plus approprié. J'avais d'ailleurs répondu à un ponte de la médecine qui se prenait très au sérieux et ne semblait pas apprécier que je l'appelle "monsieur", alors qu'il avait selon lui droit à "professeur", que je le priais également dans ce cas de m'appeler "professeur" puisque j'y avait tout autant droit que lui!
Quant au regard des universitaires sur nous les petits, je suis entièrement de ton avis mais le mépris qu'ils semblent nous porter, je le leur rends bien!
Une vestale, dites-vous...? Mais c'est bien une vestale qui enfanta Romulus et Rémus après avoir fauté avec le Dieu Mars, non ? alors comme ça, ça me va. :)
Ça sert, Lancelot, de connaitre ses classiques! Moi, je ne vois le métier de vestale que comme ça!
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